Dunkirk, vu par les dunkerquois

Avatar de Comité de Rédaction

Le 19 juillet 2017 sortait Dunkirk (« Dunkerque » en version française), réalisé par Christopher Nolan, le grand homme du cinéma hollywoodien. Le titre est simple mais suffit pour annoncer la couleur : un film de guerre à propos d’une histoire vécue. C’est en effet une partie de l’opération Dynamo qui est décrite à l’écran. Il n’y a pas plus d’explication, nous sommes plongés in medias res au sein des troupes britanniques qui attendent sur la plage de Dunkerque. Le projet étonne sur plusieurs points, tout d’abord car un réalisateur américain dont la réputation n’est plus à faire, s’intéresse à un épisode important de la seconde guerre mondiale, mais un épisode qui reste tout de même dans l’ombre face aux grands évènements qu’ont été le débarquement de juin 1944 ou la prise de Berlin en 1945. Le casting étonne aussi, de nombreux jeunes acteurs vont faire leurs premiers pas au grand écran, et ceux-ci vont tourner dans un endroit bien précis : la plage de Dunkerque, endroit méconnu tout au nord de la France. Les critiques louent le savoir-faire de Nolan, les historiens sont mitigés, mais globalement le film est une réussite.
Au-delà des commentaires d’experts dans le domaine du cinéma, je voulais savoir comment le projet a été accueilli à Dunkerque, et ce que pensaient les dunkerquois. Comment voient-ils ce film, tourné par une star du cinéma d’outre-Atlantique, qui se passe dans leur ville et qui pour beaucoup raconte l’histoire de leurs grands-parents ? Je suis allé à Dunkerque, j’ai visité les nombreux vestiges de la guerre, et j’en ai surtout profité pour rencontrer ses habitants et leur demander ce qu’ils pensaient de Dunkirk.

R1-03258-036A

Romane – 22

Je suis allée voir le film, non pas pour son côté historique car depuis la primaire on nous apprend l’opération Dynamo, mais plutôt pour voir la ville à l’écran, voir le rendu de ce film dont tout le monde a tant parlé. Au final je n’ai pas spécialement aimé, à cause du peu de dialogues et des musiques très fortes et intenses. Je sais, d’après les dires, que c’est le style de Nolan, mais ce n’est pas forcément ma tasse de thé. Puis, la première chose dont on a parlé avec mes amis quand nous sommes sortis du cinéma, ce sont les incohérences. A un moment, le soldat quitte les rues de Malo-les-Bains pour arriver sur la plage, il lui suffit de marcher un peu sur la droite pour arriver directement dans les dunes. Alors qu’un tel chemin lui fait faire un détour de 45 minutes. Aussi, sur certains plans du port on voit une porte d’écluse qui est relativement nouvelle, mais ils n’ont pas réussi à la couper au montage je pense, ou peut-être c’était sans importance pour les réalisateurs, je n’en sais rien.
J’ai des connaissances qui ont fait figurants, ils avaient passé une annonce et toute personne de la ville pouvait candidater. Les figurants étaient principalement des garçons, et pour le peu de rôles féminin je n’ai même pas tenté ma chance. Mais l’un de mes amis proches y a participé et m’a beaucoup raconté sur cette expérience. Il m’a dit que sa scène préférée se passait sur la plage, quand les Allemands lâchent des bombes sur les soldats qui attendent les bateaux. De base, les réalisateurs leur avaient donné comme consigne qu’à leur signal, ils devaient d’abord courir, puis se jeter à terre au deuxième signal, avant que les bombes n’explosent. Cela s’est cependant avéré trop compliqué, et parfois trop dangereux. Ils ont donc décidé que les figurants seraient déjà positionnés au sol, et que seuls les cascadeurs courraient puis sauteraient à terre. Il y a eu 5 explosions différentes qui se rapprochaient au fur et à mesure, et il m’a dit qu’il sentait de plus en plus le sol trembler, le sable lui retomber vivement dessus et il m’a avoué avoir eu peur à ce moment, mais que c’était aussi un beau mélange d’excitation et d’appréhension.

R1-03258-020A

J’ai particulièrement aimé voir les rues de Malo-les-Bains reconstruites du temps de la guerre. C’est d’une beauté. Puis c’est surtout marrant de voir ces rues dans lesquelles je passais quasiment toutes les semaines sur un écran de cinéma. C’est juste dommage que le film se focalise presque uniquement sur la plage et ne s’étend pas plus loin que l’opération Dynamo elle-même. Dunkerque regorge de faits historiques, notamment pendant la deuxième guerre mondiale, et certains membres de nos familles peuvent même l’avoir vécu. Mon grand-père maternel, par exemple, s’était réfugié en Belgique car il était réfractaire au STO (travail obligatoire des français pour les Allemands durant l’occupation). C’est d’ailleurs là-bas qu’il y a rencontré ma grand-mère. Après la guerre, pendant la reconstruction, la boucherie de mes grands-parents, comme la plupart des commerces, était regroupé sur la place principale de Dunkerque (place Jean-Bart), dans des chalets américains qui avaient été délaissés. Il y a plein de petites histoires comme celle-ci qui font de Dunkerque une ville spéciale, qui a du vécu.
Aujourd’hui je vis à Lille pour mes études, mais j’ai grandi à Dunkerque jusqu’à mes 18 ans. Jusqu’alors, c’était certes une belle ville, mais sans grande vie nocturne, j’étais pressée de partir de là, découvrir autre chose. Maintenant que j’habite à Lille, comme 99% de mes amis, nous prenons toujours autant plaisir à rentrer sur Dunkerque, pour revoir nos parents et notre famille évidemment, mais aussi pour retourner boire des verres sur la plage, profiter de la mer en été, reprendre nos petites habitudes d’adolescents le temps d’un week-end. Contrairement aux clichés sur le Nord où il fait toujours gris et l’atmosphère est triste, je trouve que Dunkerque est un endroit où il fait bon vivre, que même s’il y a des milliers d’habitants, tout le monde connait tout le monde et c’est ce qui rend la ville chaleureuse.

R1-03258-018A

Pierrick – 22

Lorsque j’ai appris qu’un film allait être tourné sur Dunkerque, et à Dunkerque, j’ai trouvé ça super en termes d’exposition et d’image pour la ville. J’ai bien évidemment été voir le film et j’ai d’ailleurs beaucoup aimé. Ce qui m’a poussé à aller le voir est le fait que l’histoire soit en lien avec ma ville, mais aussi car j’apprécie beaucoup les films historiques. Bien évidemment, la raison principale est que j’ai eu la chance d’être figurant pour le film et que je voulais découvrir le rendu. J’ai trouvé ça super de participer à ce genre de projet même à petite échelle, j’ai eu dix jours de figuration en tout. Par chance j’étais très bien placé lors du tournage de certaines scènes comme celles des explosions sur la plage ou des soldats qui portent les brancards. C’était assez excitant mais on essayait de ne pas en faire trop et de se montrer professionnel, même si la plupart d’entre nous ne connaissait rien au cinéma. Le plus gros du boulot consistait à attendre, sous notre belle météo locale (pluie) et avec des vêtements qui grattaient. Mais le simple fait d’avoir vu Christopher Nolan travailler juste devant nous n’avait pas de prix et rendait l’expérience encore plus valorisante.
J’ai beaucoup aimé l’approche de Nolan par rapport à l’histoire, le côté intime avec les personnages qui pourtant ne sont pas très développés par rapport à ses autres films. Le côté un peu « documentaire » m’a aussi beaucoup plu et les images ainsi que le son sont superbes.
J’ai trouvé que le sujet avait été bien traité, comparé à la plupart des gens qui ont reproché le fait que « nous les français » ayons été mis de côté par rapport au rôle que nous avons joué durant l’opération Dynamo. Moi ça ne m’a pas dérangé, dans le sens où je savais que l’on allait voir un film d’un point de vue anglais et non français. De plus, s’il avait fallu faire un film sur La Défense de Dunkerque, cela aurait été un tout autre type de film focalisé sur la ville et non sa plage. Ma famille n’est pas originaire de Dunkerque, mes grands-parents et mon père y sont encore installés mais ma mère est en Charente maintenant. Au moment de la libération, un parent très éloigné que je n’ai jamais connu, était à l’époque prisonnier des allemands. Il s’était retrouvé avec une arme en main et avait tiré sur des soldats qui s’apprêtaient à ouvrir le feu sur des amis à lui, également prisonniers à ce moment-là. Il a plus tard reçu une décoration pour avoir sauvé ses amis, ma grand-mère en est encore en possession.
Je suis dans l’armée depuis presque un an et je suis maintenant basé près de Strasbourg. J’habite encore officiellement à Dunkerque mais je n’y suis plus beaucoup. Dunkerque est une petite ville comme une autre, et je trouve dommage qu’il n’y ait pas plus de vie d’une manière générale, concernant la vie nocturne ou par rapport aux événements organisés. Mais au-delà de ça, c’est une ville qui a un patrimoine historique unique en France. Les conséquences de la guerre sont certes visibles, mais le souvenir n’est bien évidemment plus que dans l’esprit des personnes âgées. La jeunesse ne connaît la guerre que par les histoires de famille ou les livres, ce qui atténue grandement son impact sur notre génération et encore plus sur les générations qui suivront.

R1-03258-021A

Marcel – 86

Je n’ai pas été voir le film. On m’a dit que cela racontait la guerre en 40. Je n’ai pas besoin qu’on me l’explique, moi je l’ai vécu. On m’a aussi raconté le synopsis du film, l’attente sur la plage et les soldats anglais qui évacuent en bateaux. Je trouve dommage qu’ils se soient focalisés sur les anglais. Ils ont appelé le film Dunkirk, ils auraient au moins pu montrer le rôle crucial des français dans l’opération Dynamo. Il y avait un film qui était sorti dans les années 60, il montrait aussi la plage mais surtout ce qu’il y avait derrière, l’organisation de la vie dans les dunes, les relations entre les français et les anglais, etc. (Week-end à Zuydcoote, Henri Verneuil, 1964) J’avais bien aimé ce film, il n’était pas toujours très réaliste mais je pense que le réalisateur de Dunkirk ne doit pas non plus tout savoir sur l’histoire de Dunkerque, surtout si c’est un américain. Parfois j’en sais plus que certains historiens, ça me fait sourire. Par exemple, derrière notre maison il y a une ferme. Les Allemands y avaient construit des blocks lors de leur arrivée. Il n’y a pas si longtemps que ça je lisais dans le journal un article d’historien qui disait que les blocks près de la ferme avaient été construits par les anglais, alors qu’ils existaient déjà vu que c’était l’œuvre des allemands. Après je ne vais pas me mêler de leur travail, mais ma mémoire fonctionne encore bien, je me souviens de beaucoup de choses liées à la guerre, même si j’étais gamin à l’époque. Mes parents m’ont envoyé à la campagne chez la famille, j’avais neuf ans. Ils ne parlaient que flamant, au fil du temps je comprenais la langue, mais ce n’était pas toujours simple. Je suis revenu pendant l’occupation allemande. Ils avaient pris notre école comme quartier général, alors nous avions cours dans des baraquements et on les voyait parfois défiler en chantant des chansons allemandes. Nous étions à la vitre à les regarder, c’était impressionnant. On aimait bien aussi leurs jouer des tours, on allait les embêter devant leurs quartiers pour qu’ils nous donnent du chocolat. Certains ne nous donnaient rien et criaient « Raus ! », d’autres rigolaient et nous donnaient un morceau de chocolat. Au fond, ils n’étaient pas bien méchants. Mon père a dû travailler dans les trains, il transportait du matériel dans la ville. Il a fait Verdun lui, mais il était trop âgé pour servir une deuxième fois. Il y avait toujours un soldat avec une arme qui le surveillait pour ne pas qu’il sabote les voies de fer. On entendait des histoires de résistants mais ils se cachaient bien. Des voisins ont été emmenés, on ne sait pas trop où, parce qu’ils avaient un pistolet à la maison et que quelqu’un les avait dénoncés. Je peux en raconter pleins des anecdotes de ce genre, il s’est passé beaucoup de choses à cette époque. Après la guerre j’ai travaillé comme mécanicien, je n’avais pas d’autre choix que de trouver du boulot, il fallait ramener de l’argent à la maison. Aujourd’hui j’ai encore des objets qui datent de l’époque, certaines pièces allemandes ont été retrouvées chez nous quand ils ont libéré les habitations réquisitionnées. J’ai encore une boucle de ceinture, un ouvre-boite, un couteau américain, et bien d’autres choses encore. Ce sont ces petits détails qui façonnent l’histoire, et ce serait intéressant qu’ils parlent aussi de cela dans les films et les livres. Mais peut-être que ça n’intéresse pas les gens ou qu’ils préfèrent connaître l’histoire dans les grandes lignes. En tout cas je trouve bien qu’ils aient fait un film sur Dunkerque. Quand il passera à la télévision je le regarderai.

R1-03258-022A

R1-03258-023A

 

 

Tagged in :

Avatar de Comité de Rédaction

Laisser un commentaire