Plongée dans l’ultranationalisme et l’extrême-droite à l’Est de l’Europe

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Les événements du Maidan en 2013-2014 et l’annexion de la Crimée par la Russie ont redonné poids et vigueur à une extrême-droite ultranationaliste ukrainienne dont les racines historiques ne font qu’accroître sa légitimité. Entre nationalisme ethnique, nostalgie cosaque, néonazisme et russophobie, certains partis se sont appuyés sur leurs succès militaires sur le front de l’Est pour conquérir la Rada, le parlement à Kiev.

De Praviy Sektor au bataillon Azov

Les manifestations et l’occupation de la place du Maïdan à Kiev, durant l’hiver 2013–2014 sont passées de la contestation à la lutte armée en quelques semaines. Au jaune-bleu des drapeaux ukrainiens et européens se sont mêlées le rouge-noir, les couleurs de l’extrême-droite pour le sang et le sol. Cette année-là, se formait sur les barricades, un des principaux groupes ultra-nationalistes et antisémites d’Ukraine, Praviy Sektor, rassemblant diverses fractions paramilitaires, de l’est comme de l’ouest du pays : Tryzub (qui veut dire « Trident ») créée en 1993, Patriotes d’Ukraine (2005) et l’UNA-UNSO (1990). Certaines luttaient pour une croisade chrétienne contre les juifs et les minorités, d’autres contre l’impérialisme russe en rejoignant les rebelles tchétchènes pendant la première guerre de Tchétchénie[1]. En 2014, Praviy Sektor a constitué un vivier pour alimenter le fameux régiment Azov, « les petits hommes noirs », fort de plus de 4000 volontaires se battant pour défendre l’intégrité de l’Ukraine contre la sécession du Donbass[2]. Le blason du régiment représente une wolfsangel inversée sur fond jaune et bleu. Le symbole représentant un crochet à loup fut utilisé par plusieurs unités SS durant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui directement rattaché au ministère de l’Intérieur, le bataillon Azov devenu régiment Azov, est intégré aux forces de défense de la nation et bénéficie de l’aide militaire et financière américaine (la loi passée par le Congrès interdisant son financement a été levée en 2016)[3].

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Le parti ultranationaliste le plus important en Ukraine aujourd’hui est Svoboda (« Liberté ») dénommé auparavant Parti Social National d’Ukraine (SNPU). Le parti a également peaufiné son image, passant de la wolfsangel à son blason aux trois doigts de la main, représentant le symbolique trident ukrainien.

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Le parti n’en reste pas moins antisémite, en se proclamant l’héritier du nationaliste Stepan Bandera, inspirateur de l’UPA[4], l’armée insurrectionnelle ukrainienne. Cette armée fut formée d’ex-collaborateurs de l’Allemagne nazie[5].

 

Le nationalisme ukrainien d’hier et d’aujourd’hui

Pour comprendre les racines du nationalisme ukrainien et ses formes les plus radicales, il faut chercher dans le passé violent du pays. Placée sous domination de la Pologne, de l’Autriche, de l’Allemagne nazie, de la Russie tsariste puis soviétique, l’identité ukrainienne s’est construite autour d’un nationalisme de libération, soit par les mots et la culture, soit par les armes et la terreur. Les radicaux de l’histoire, basculés dans le terrorisme contre les multiples oppresseurs, sont aujourd’hui les héros des idéologies de l’extrême-droite, en quête de repères fondateurs et de légitimité auprès du public. Les références historiques alimentent les mythes. Ainsi peut-on voir aujourd’hui sur le site web de Praviy Sektor : « 1944, l’UPA contre le NKVD (avant le KGB) » , « 2004, Praviy Sektor contre le FSB ». Sans aucun doute, le groupe se sent investi d’une mission réparatrice historique. Plus récemment, le régiment Azov a inauguré en grande pompe une plaque commémorative à la mémoire de Konovalets. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le colonel Konovalets, organisa dans les années 30 des groupes paramilitaires clandestins pour lancer des opérations terroristes contre les organisations polonaises, contre des fonctionnaires et propriétaires ainsi que contre les Ukrainiens collaborateurs de la Pologne. L’histoire est également présente dans la vie des leaders radicaux du 21ème siècle. L’ancien commandant du régiment Azov et Praviy Sektor, Andrey Biletsky, a en effet écrit une thèse en Histoire à l’Université de Kharkov, sur « l’armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) », avant de déclarer la guerre « à tous les parasites du sang ukrainien ».[6]

 

L’extrême-droite dans la politique ukrainienne

L’autre particularité des mouvements d’extrême-droite ukrainiens est leur capacité à passer d’une organisation paramilitaire ou pudiquement appelée « d’auto-défense », à un parti politique « normal » en se présentant aux élections avec un programme détaillé. Ils gagnent ainsi des votes et même, dans la foulée, quelques sièges au parlement.

La quête de la respectabilité passe par un « rebranding » de l’emblème du parti et des propos plus nuancés. La rupture avec les groupes armés est officialisée malgré que les partis continuent à entretenir des liens plus ou moins étroits officieusement. C’est ainsi que Svoboda a gagné 37 sièges au parlement lors des élections de 2012 puis est passé à six sièges en 2014 avec trois de ses membres au gouvernement. Le parti a gardé toutefois une forte influence dans son fief, à l’Ouest de l’Ukraine[7] dans les élections régionales. Praviy Sektor est devenu un parti politique en 2014 et a obtenu deux sièges au parlement. Le député Dmytro Yarosh, actuel leader de Praviy Sektor fait l’objet d’un mandat d’arrêt international auprès d’Interpol lancé par la Russie en juillet 2014 pour incitation au terrorisme sur le territoire russe. Mais cela ne l’a pas empêché de conseiller le ministère de la Défense ukrainien depuis mars 2015, au sein d’un gouvernement soutenu politiquement et financièrement par l’Union Européenne et les Etats-Unis. Le régiment Azov s’est également constitué en un parti politique « Corps Civil » (il n’y avait pas moins de 132 différents partis se présentant aux dernières élections) qui soutient entre autres une déclassification des archives de l’ère soviétique, le droit à l’auto-défense et le réarmement nucléaire de l’Ukraine. Une autre façon de faire entendre ses idées ultranationalistes est de se présenter comme candidat indépendant. A. Biletsky est ainsi entré au parlement avec 33,75 % des voix lors des élections parlementaires de 2014 et a rejoint le parti Ukrop de centre droit. Il a suspendu ses liens avec le régiment Azov officiellement mais a déclaré dans une interview en 2015 vouloir se battre contre les Russes jusqu’en Syrie[8]. En effet, l’ultranationalisme ukrainien s’exporte bien.

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Le recrutement dans les partis et les mouvements armés d’extrême-droite

Les recrutements se font sur tout le continent au nom de la défense d’une Europe blanche aux valeurs chrétiennes, et la croisade démarre en Ukraine, menacée « d’invasion du bolchévisme ».  En France, Praviy Sektor, interdit de conférence à Nantes en janvier 2016, a dû revoir ses méthodes de recrutement en se montrant plus discret, au sein des associations de bénévoles par exemple ou parmi l’émigration ukrainienne clandestine en France. Fermer les yeux sur ce qui se passe dans les lointains confins slaves est une chose, autoriser que « Pierre » ou « Paul » se fasse recruter sur la place de l’église en est une autre. La presse reste toutefois très silencieuse à ce sujet, l’éventualité que « Paul » se retrouve à combattre « Pierre », lequel est recruté par les russo-séparatistes, dans le Donbass est assez grande. Nombreux sont les français[9] et autres européens[10] à partir dans les camps d’entraînement à l’Est de l’Ukraine. Le recrutement local est bien plus facile. Les partis sont présents lors des manifestations populaires, tels des concerts, festivals de musique, club de films. L’esprit de « communauté » que prodiguent les partis séduit des jeunes qui au départ se disent apolitiques. La faim vient en mangeant dit-on et c’est au contact étroit avec les membres des groupes que les jeunes se radicalisent. En 2011, un leader du parti Svoboda interrogé par Alina Polyakova a déclaré « Nous (le parti) avons changé de stratégie en 2008 en nous concentrant sur les organisations de la jeunesse comme composant clé de la mobilisation ».[11] Les groupes de jeunesse ainsi formés proposent des camps d’entraînement où la préparation physique, la discipline et la conscience nationale sont enseignées aux jeunes à partir de 14 ans. Les petits « Azovetz » sont eux recrutés encore plus jeunes. Radio Liberty rapportait en novembre 2015, la présence de camps d’entraînements et d’apprentissage du maniement des armes pour les enfants dès 9 ans. L’idéologie Azov ultranationaliste et néo-nazie y est également largement dispensée. Mais le phénomène n’est pas nouveau. Déjà, dans les années 1920, les organisations de scouts, sportives ou militaires (UVO) distillaient les idées du mouvement nationaliste parmi les plus jeunes[12].

 

Une instrumentalisation internationale

En 2017, les drapeaux européens flottant sur la place du Maïdan paraissent bien loin. la soif d’Europe se superpose aujourd’hui une faim d’Ukrainité. La défense des valeurs patriotiques ne peut pour certains s’exprimer que dans le radicalisme et le flirt dangereux avec les idées d’un autre siècle remises au goût du jour. Moscou n’avait certainement pas imaginé ce retour de flamme nationaliste après son annexion de la Crimée et la guerre dans le Donbass. Mais comme à d’autres époques de l’histoire de l’Ukraine, ce nationalisme exacerbé est devenu l’instrument des pouvoirs internationaux, dans une lutte géopolitique larvée héritée de la Seconde Guerre mondiale et des années de Guerre froide. Une instrumentalisation que l’Allemagne nazie n’avait pas hésité à utiliser en promettant à Stepan Bandera l’indépendance de l’Ukraine contre la collaboration. L’indépendance ne vint pas, la population juive d’Ukraine fut exterminée et le pays, pillé de ses ressources. Aujourd’hui, l’extrême-droite ukrainienne, bien que paradoxalement très minoritaire dans le corps législatif, voit son bras armé discrètement toléré quand il n’est pas soutenu par les pays occidentaux. Le nationalisme ukrainien, bien que dans une forme moins radicale, est le seul discours tenu dans les programmes d’éducation et les médias depuis 1991. La seule alternative possible pour ceux qui n’y adhèrent pas est le retour à une soviéto-nostalgie alimentée par le discours nationaliste russe de Vladimir Poutine.

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