Sortie du nucléaire : quand l’écologie se heurte à l’économie

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Deux mois à peine après le vote de l’initiative pour une « économie verte », refusée avec 63,6% de « Non »1, le peuple suisse est à nouveau appelé à se prononcer le 27 novembre prochain sur un sujet « écologique ». Les Verts reviennent à l’offensive, avec une initiative qui porte cette fois sur une sortie du nucléaire. Les campagnes sont lancées, les arguments foisonnent et les affiches aux slogans cinglants couvrent les panneaux des espaces publiques : « Pas de courant en hiver ? », « Non au courant sale de l’étranger ! », mais aussi « Amélie n’a pas besoin du nucléaire », « Nucléaire ? Non merci ! » La tension semble au cœur du débat et, pourtant, si nous analysons l’opinion de la population, nous verrons apparaître une certaine tendance. De nombreux Suisses pensent que le vote ne passera pas. Pessimistes ou simplement réalistes ? Il semblerait que l’Helvète n’a que faire de l’espoir ou de l’utopie. Il donnera surtout peu de crédibilité aux sondages publiés en octobre, qui donnaient les Suisses plutôt favorables à l’initiative2. Une question simple se pose alors : pourquoi existe-t-il un tel blocage lorsqu’une initiative écolo est soumise à votation ? Lorsque nous prenons conscience de l’urgence climatique, il est nécessaire de se demander ce qui retiendrait un pays comme la Suisse d’accélérer sa transition énergétique.

« Il faut le rappeler, l’initiative semblable pour une « sortie du nucléaire » engagée en 2003, de même que l’initiative récente pour une « économie verte », n’ont guère donné de brillants résultats, toutes deux ayant été rejetées par le peuple »

Dans la campagne, ce projet fait briller les yeux des défenseurs de l’écologie. En effet, ceux-ci se disent prêts à se débarrasser des énergies archaïques et non rentables pour se tourner enfin vers une énergie propre et durable3. Nous parlerons ici d’une source d’énergie inépuisable, et dont l’exploitation ne pollue que très peu. Les opposants, eux, perçoivent cette sortie du nucléaire comme précipitée et nuisible pour l’économie suisse. Ils sont convaincus que celle-ci entraînerait une chute de la production d’électricité en Suisse, qui devrait être compensée par une importation de l’étranger4. C’est également la position que défend le Conseil fédéral, selon lequel il vaudrait mieux « sortir du nucléaire au rythme du déploiement des énergies renouvelables indigènes et des réseaux électriques. »5 Le Parlement a d’ailleurs approuvé tout récemment les premières mesures de la Stratégie énergétique 2050 proposée par le Conseil fédéral. Parmi celles-ci figurent notamment un encouragement des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, biomasse), ainsi qu’une augmentation des subventions. Nous remarquerons que les objectifs de cette stratégie ressemblent fortement à l’initiative des Verts, avec comme principale différence une mise en œuvre plus tardive. Faut-il donc assurer notre sécurité en abandonnant dès maintenant le nucléaire, ou retarder cette sortie pour éviter une importation d’énergie « sale » de l’étranger ? Qu’est-ce qui fera finalement pencher la balance ? Difficile de savoir quels arguments finiront par l’emporter.

Ecologie vs Economie

Il est intéressant d’aborder le problème en se focalisant sur l’un des obstacles auquel se heurte presque systématiquement l’écologie : l’économie. Le camp des opposants à l’initiative énonce comme contre-argument – outre ceux de la sécurité et de l’importation étrangère – le « risque financier pour la Confédération, et donc pour le contribuable. »6 Il semble évident que cette sortie « accélérée » du nucléaire engendrera des coûts. On parle notamment de l’indemnisation qui devra être versée aux exploitants des centrales nucléaires. Cette compensation s’élève, selon les estimations des exploitants eux-mêmes, aux alentours de 4 milliards.7 Il est toutefois difficile de connaître les chiffres exacts ; ils seront discutés dans le cas où l’initiative serait acceptée. Il faut ajouter à cela l’investissement dans les nouveaux projets d’énergie renouvelable. En fin de compte, en s’accrochant constamment à cette position, nous remarquons que l’influence des milieux économiques sur la politique vient paralyser toute ambition de transition énergétique. La pression des grandes entreprises ou des lobbys est telle, qu’à chaque fois que survient une nouvelle tentative, une certaine retenue plane sur le politique. Il faut le rappeler, l’initiative semblable pour une « sortie du nucléaire » engagée en 2003, de même que l’initiative récente pour une « économie verte », n’ont guère donné de brillants résultats, toutes deux ayant été rejetées par le peuple. De même, l’UDC vient de lancer un référendum contre la « ruineuse » loi sur l’énergie8 et menace ainsi la Stratégie énergétique 2050 prévue par le Conseil fédéral. Il semblerait que la question écologique, bien qu’elle soit de plus en plus présente dans les esprits, dérange la population. Celle-ci vient en effet trop souvent s’opposer à des enjeux économiques, qui méritent d’être pris en considération. Nous savons alors rapidement de quel côté penchera la balance. La Suisse ne pourra-t-elle donc jamais concilier économie et écologie ? Et pourquoi ces deux axes se retrouvent-ils constamment en opposition, sans jamais être considérés comme complémentaires ?

La transition énergétique, une opportunité ?

En effet, la situation actuelle des centrales nucléaires suisses est délicate. Le manque de rentabilité lié à la chute des prix de l’électricité, l’arrêt de Beznau I depuis plus d’un an, et l’insécurité de la population vis-à-vis des centrales nucléaires semble démontrer que leur fin approche9. Cette initiative ne serait-elle pas une opportunité pour l’économie suisse ? Pourquoi attendre, alors qu’elle possède en main les clés pour engager LE tournant énergétique ? La Suisse possède les ressources nécessaires, que ce soit au niveau de l’investissement ou des technologies. Prenons l’exemple de projets réalisés tels que Solar Impulse, ou encore le potentiel des centres de recherche et d’innovation – EPFL, EPFZ – que compte la Suisse. Nous pouvons ajouter les partenariats en innovations avec l’UE (Horizon 2020), ainsi que la mutation de plus en plus fréquente des entreprises vers une économie durable, sans oublier les milliers de projets en attente de subventions. La Suisse regorge de possibilités et de capacités en la matière !

Il est vrai qu’à ce jour, peu de pays se sont engagés dans une transition énergétique durable. Seul notre voisin du Nord, l’Allemagne, a osé aller de l’avant politiquement. Sa décision d’arrêter le nucléaire d’ici à 2022 a été possible grâce à sa remarquable politique en faveur des énergies renouvelables (notamment l’éolien), aux nombreux investissements ainsi qu’au soutien des citoyens et des communautés. Alors, que manque-t-il réellement à la Suisse pour faire ce pas ? Si ce ne sont pas les ressources, cela peut venir de la simple volonté politique : celle d’oser repenser l’économie suisse. Le dernier mot reviendra au peuple suisse, qui a les instruments en main pour décider de l’avenir de son pays.

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