La presse est-elle sexiste ? Explication et outils avec l’association DécadréE

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On passe souvent notre temps, surtout lorsque l’on écrit, à vouloir convaincre les autres – notre lectorat. Pour la personne qui rédige, il s’agit d’abord de faire référence à une réalité familière et comprise par toutes et tous – afin de rapprocher le lecteur – puis d’énumérer des arguments subjectifs afin de rallier une majorité à notre cause. Si la deuxième partie de la manœuvre est délibérément l’exposition d’un avis personnel, l’introduction du sujet ou le rapport des faits constitue une simple base non réfutable. Cependant, faire référence à une réalité que l’on pense commune, c’est oublier la perception même du journaliste sur sa réalité. On est parfois si aspiré par ce qui nous entoure que l’on omet de prendre du recul. Il existe un aspect de cette réalité biaisée fort commun : le sexisme ordinaire.

 

Qu’est-ce qu’un article sexiste ?

Pour nous éclairer sur cette thématique, Topo a rencontré Valérie Vuille, rédactrice et coordinatrice de l’association DécadréE, qui promeut une presse égalitaire. Son premier constat est limpide : «Une des difficultés à reconnaître le sexisme dans la presse se situe dans le fait qu’aujourd’hui nous avons encore l’image d’une presse neutre qui diffuse de l’information absolue et où le regard du journaliste n’est pas pris en compte. On a du mal à comprendre qu’il peut y avoir du sexisme s’il ne peut pas y avoir de regard. Mais l’information n’est jamais dénuée de regard. » Si les réseaux sociaux s’enflamment à la vue d’une publicité sexiste, on ne peut pas encore en dire autant des articles de presse. Alors que la publicité doit être « flagrante et aller vers des généralités pour pouvoir parler à tout le monde », le cas des articles est bien plus nuancé. Mais au fait, comment peut-on reconnaître un article sexiste ? Valérie Vuille énumère trois aspects principaux : le choix du sujet, l’écriture de l’article (du choix des intervenants au langage choisi) ainsi que la visibilisation moindre des femmes.  Alors que certains articles sont simplement « aberrants et dégradants pour les femmes et autres minorités », la plupart n’affichent pas ouvertement de sexisme mais reproduisent l’inégalité. « Si on interroge une femme politicienne, celle-ci sera toujours ramenée à son statut de femme. On lui demandera comment elle peut gérer sa vie familiale et professionnelle. On part du principe que puisque c’est une femme, elle représente un groupe social : comme si le fait d’être une femme était une entité absolument homogène. » S’ajoute à cela le fait de consulter plus d’experts que d’expertes, ce qui contribue à donner une image de l’espace public à majorité masculine.

 

Quelle attitude adopter face au sexisme dans la presse ?

La volonté de l’association DécadréE apparaît alors : offrir une démarche constructive et réflexive pour s’orienter vers une presse moins sexiste.

Cette nouvelle association a trois objectifs. Le premier est de diffuser une vision de l’actualité plus égalitaire : « Les médias ont un énorme pouvoir : ils donnent de l’information sous un angle qui influence directement la perception du monde du lecteur. Notre but est d’offrir une perception plus égalitaire de l’actualité. » Le deuxième objectif est de promouvoir une presse plus égalitaire. Pour cet aspect plus global, il faut « travailler avec les journalistes dans un état d’esprit constructif plutôt que dans la dénonciation ». L’idée n’est effectivement pas de jeter la pierre sur le métier ou la pratique journalistique car les membres de DécadréE sont conscient-e-s des aspects internes de la profession. « Un article sexiste qui sort, ce n’est pas un article sexiste qui a été écrit par un journaliste. C’est un mécanisme plus global duquel découle un article sexiste. Un article passe dans plusieurs mains, le choix de la photo n’est pas toujours laissé au journaliste, celui-ci est soumis à une ligne éditoriale, il doit rendre des comptes à son rédacteur en chef, il ne veut pas perdre son travail… Ces aspects sont inhérents au processus d’écriture et c’est quelque chose que l’on comprend. » Le dernier but de l’association est d’offrir une plateforme qui donne une voix aux « initiatives égalitaires qui sont parfois mal comprises par les autres journaux ». Cette plateforme est un web-journal qui permet aux membres de l’association de rédiger librement et d’ouvrir le débat de la presse égalitaire.

 

Quels outils proposer ?

Rendre visible cette problématique est la première étape de ce long processus. L’association DécadréE veut pouvoir sensibiliser mais aussi agir de manière concrète. Comment intervenir dans ce « mécanisme » d’écriture ? L’association souhaite proposer différents outils à portée de toutes et tous. « D’une manière pratique, on devrait aller vers le langage épicène », c’est-à-dire une forme d’écriture qui ne varie pas selon le genre. Cela permettrait « une écriture plus égalitaire, qui serait plus précise et permettrait de visibiliser les femmes ». Un deuxième outil que l’association souhaiterait mettre à disposition est une liste d’expertes. « On pense beaucoup à interroger des hommes et moins des femmes ; cet outil fait partie de la construction d’une presse égalitaire. » Enfin, le dernier élément se situe sur le long terme : « La formation reste le point crucial. Il faudrait pouvoir aborder cette thématique dans les écoles de journalisme et les rédactions.» C’est la mise en place de ces instruments qui rendra possible un changement des mentalités.

Pour l’instant, l’association DécadréE surfe sur une vague d’approbation de la part de certain-e-s journalistes et rédactions. Ceux qui ne se manifestent pas resteront les plus difficiles à convaincre mais Valérie Vuille et son équipe regardent vers l’avenir. Pour l’année 2017, les projets de manquent pas. « Nous aimerions pérenniser le web-journal et pouvoir défrayer ceux qui y travaillent afin de reconnaître leur investissement. Nous aimerions aussi organiser un événement ouvert afin d’avoir une variété de points de vue sur la presse égalitaire. »

La question de la presse nous lie inévitablement à cette « réalité commune » citée en début d’article. Le débat lancé par DécadréE permet de se questionner sur cette société binaire reflétée dans la presse comme si celle-ci était acquise et immuable. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir sa remise en cause.

 

 

Site web de l’association : http://www.decadree.com/

Page facebook : https://www.facebook.com/decadree/

Pour toutes les personnes intéressées par la rédaction au sein de cette association, sachez que celle-ci est ouverte à toutes et tous ! Il vous suffit de les contacter.

Tableau langage épicène :

La forme   Avantages Inconvénients Neutre
Utilisation de la parenthèse(*1) (chacun(e)) Lecture difficile, car nous n’y sommes pas habitués Sens de la parenthèse : l’information n’est pas importante
Utilisation de la barre d’exclusion(*1) (chacun/e) Lecture difficile, car nous n’y sommes pas habitués Sens exclusif
Utilisation du trait d’union (chacun-e) Induit une continuité dans la lecture Sens inclusif
Utilisation du point médian (chacunŸ e) induit une continuité dans la lecture Écriture difficile, car nous n’y sommes pas habitués Discret
Utilisation de la majuscule (chacunE) Induit une continuité dans la lecture Peu connu et parfois mal compris – peu paraître agressif Voyant
Doublet (chacun et chacune) Induit une continuité dans la lecture et une écriture « habituelle » Rallonge le texte de manière significative
Les formulations trans-sexes(*2) Ceulles /  illes

 

Raccourci le texte et moins binaire Peu connu et peu ne pas être compris

 

*1 Généralement, les deux premières écritures sont déconseillées de par leur signification.

* 2 La forme « trans » a émergée dans le cadre des mouvements militants trans. Elle remet complétement la binarité homme-femme en question. Elle Permet d’éviter les pronoms il/elle, mais requiert en plus l’une des autres formes épicènes. « Iels sont alléEs au supermarché. » Cette forme est peu connue et nécessite souvent d’être accompagnée d’une note explicative.

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