Le TTIP et la Suisse, tant de questions !

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Phase cruciale pour le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement – TTIP pour les intimes – alors que le 13ème round de discussions entre Européens et Américains vient de se clore. Les négociations patinent et de nombreuses voix s’élèvent à l’encontre du projet. De plus, en fonction du prochain occupant de la maison blanche, aucune garantie n’est donnée concernant la suite des négociations. Mais avant d’aller plus loin, qu’est-ce que le TTIP ?

Le partenariat transatlantique consiste en un accord commercial – en cours de négociation – entre l’Union européenne et les USA. Il prévoit la mise en place de la plus importante zone de libre-échange de l’histoire, en couvrant presque la moitié du PIB mondial et le tiers du commerce mondial. Pour rappel, une zone de libre-échange consiste en un espace dans lequel tous les biens peuvent être exportés d’un pays à l’autre sans payer de droits de douane (Krugman & al 2012). De plus, chaque pays conserve une indépendance dans la mise en œuvre de sa politique commerciale vis-à-vis des pays extérieurs à la zone (Ibid.).  Alors, qu’est-ce que cet accord prévoit d’autre qu’une simple zone de libre-échange?

Plusieurs éléments sont à soulever. Le TTIP cherche notamment à favoriser la mise en place d’une coopération réglementaire ou d’une harmonisation des normes. Autrement dit, une mise en conformité des lois, règlements et procédures entre pays appartenant à la zone. Ensuite, cet accord ouvrirait les marchés publics américains aux entreprises européennes. En d’autres termes, l’administration publique américaine ne pourrait plus favoriser les entreprises locales pour se fournir en matériel. Le FBI par exemple, ne pourrait plus se diriger systématiquement vers Chevrolet pour acheter des voitures mais devra laisser des marques européennes faire des offres.  Enfin, le TTIP mettrait en place un mécanisme d’arbitrage entre entreprises et Etats. Il s’agit d’un système visant à donner une plus grande capacité aux entreprises face aux Etats lors de recours contre des décisions étatiques. Comment la Suisse serait-elle touchée par cet accord ?

Il s’avère que l’UE et les USA sont les deux plus grands partenaires commerciaux de la Suisse. Ils représentent à eux deux environ deux tiers des exportations suisses et environ 60% des investissements étrangers de la Suisse ainsi que presque 100% des investissements directs étrangers en Suisse. En somme, la Suisse a des relations commerciales fortement développées avec les pays participants à l’accord. Quels sont les enjeux du TTIP pour la Suisse?

Pour répondre à une telle question, Topo a eu la chance de pouvoir s’adresser à un expert sur la question. Le mercredi 6 avril, nous avons été conviés à une conférence organisée par le think tank Foraus et avons eu l’occasion de nous entretenir avec les intervenants, l’Ambassadeur Chambovey et le Doctorant Ueli Staeger.

La salle était comble et comptait parmi le public plusieurs professeurs universitaires issus de domaines variés, que ce soit de sociologie, de sciences politiques ou d’économie. Cette conférence était menée par un expert en la matière : l’ambassadeur Didier Chambovey, délégué du Conseil fédéral aux accords commerciaux et chef du centre de prestations au commerce mondial à la direction des affaires économiques extérieures. En bref, une personnalité expérimentée dans les questions de commerce international et de commerce extérieur suisse. Cette conférence avait pour objectif de nous présenter le TTIP mais, surtout, permettre une discussion sur le fait de voir s’il consistait en une menace pour le modèle suisse ou pas. Alors, le TTIP est-il une menace pour la Suisse?

Avant tout, parle-t-on de l’adhésion à l’espace TTIP ou à la non adhésion comme étant une menace? Autrement dit, est-ce qu’il y a un risque pour le modèle suisse si l’UE et les USA le ratifient et que l’on décide d’y rentrer? Ou au contraire, est ce qu’il serait une menace si l’on décide de ne pas y rentrer alors qu’il est ratifié? C’est un peu des deux.

Selon l’ambassadeur Chambovey, il y a des risques importants à ne pas intégrer cet espace. En effet, la Suisse vit de l’exportation, elle gagne « un franc sur deux avec le commerce international ». L’Union européenne et les Etats-Unis sont ses plus grands partenaires commerciaux. C’est d’ailleurs l’un des arguments qui pourrait être éventuellement avancé pour accepter l’adhésion dans le cas où sa ratification serait soumise au référendum facultatif. L’ambassadeur nous explique qu’il faut éviter que les entreprises suisses soient discriminées par rapport à des concurrents européens ou américains sur des marchés de biens ou de services. En effet, avec la création d’une telle zone, il revient moins cher aux entreprises d’exporter et d’importer au sein de cette même zone. De plus, du fait de sa taille, elle permet une multitude de partenaires commerciaux moins chers que la Suisse. Comme le souligne l’ambassadeur Chambovey, la Suisse deviendrait moins attractive pour les investisseurs étrangers américains et européens. Ils pourraient, en effet, « favoriser d’autres destinations à l’intérieur de la zone TTIP », ce qui serait un coup dur pour l’économie suisse et donc une menace pour le modèle Suisse.

Cependant, peut-on vraiment dire qu’il n’y aura que des bénéfices à l’ouverture du marché sans aucune taxe douanière ? Il ne faut pas oublier que les droits de douane permettent de générer des rentrées fiscales importantes et qu’ils servent aussi à protéger certains secteurs économiques, comme l’agriculture (Krugman & al 2012). La suppression des droits de douane pourrait ainsi représenter une perte d’argent conséquente pour l’Etat mais aussi une protection en moins pour des secteurs qui subissent déjà une forte concurrence au niveau du marché mondial.

En dehors des aspects économiques, le TTIP vise non seulement à assurer plus de moyens aux entreprises face aux Etats, mais aussi à harmoniser des normes et règlements. Par conséquent, la question de la souveraineté suisse se pose mais aussi celle de savoir sur quoi va tendre la normalisation?

Concernant la souveraineté, l’ambassadeur Chambovey estime qu’il est nécessaire de comprendre qu’elle n’est pas forcément une fin en soi mais un moyen. A certains moments, il faut la maintenir pour obtenir une fin. Mais à d’autres, il faut être capable « de mettre en commun des compétences pour coopérer et ainsi atteindre la même fin ». Néanmoins, la question de la souveraineté reste un point sensible dans les négociations pour plusieurs pays européens et est une question encore largement discutée. En effet, le mécanisme d’arbitrage permettrait à une entreprise d’attaquer un Etat concernant des lois qu’elle estimerait comme une entrave à son développement. Les entreprises pourraient ainsi obliger, au travers du tribunal d’arbitrage, un Etat à supprimer ou modifier une loi qui avait été décidée précédemment soit par le peuple, soit par l’appareil législatif.  Cela pourrait s’illustrer par une remise en question des lois en matière de protection environnementale ou sociale. Une situation,  ayant eu lieu dans un autre contexte, pourrait démontrer ce mécanisme de manière plus concrète : l’obligation donnée au Brésil de permettre à nouveau la vente d’alcool dans les enceintes de stade de foot lors du mondial de football 2014.  Le pays l’avait interdite quelques temps auparavant pour des questions de sécurité ainsi que de santé publique.

Quant à l’harmonisation des normes, la question n’est pas encore tout à fait définie. Selon Ueli Staeger, doctorant à l’Institut de hautes études internationales et du développement et médiateur de la conférence, les approches en matière de réglementations sont très différentes entre les USA et l’UE, ce qui rend tout consensus très difficile. Cependant, il semble y avoir un point conciliant les avis ; les réglementations existantes ne seront pas touchées. Cette harmonisation des normes ne s’appliquerait qu’aux « nouvelles technologies, les nouveaux secteurs qui ne sont pas encore trop réglementés ». Toutefois, rien ne garantit que cela sera effectivement le cas.

Pour finir, il est important de remarquer que l’impact d’une zone de libre-échange ne se limite pas qu’aux pays concernés et la Suisse. D’autant plus que cet espace réunit des grands pays en matière économique. Cet espace risque, en effet, d’avoir des impacts importants sur le marché mondial, sur les marchés émergeants ainsi que sur la politique de développement mise en place par l’ONU. Ainsi, et comme le souligne Ueli Staeger, une avancée bilatérale entre l’UE et les USA ne prend pas en compte la position des pays en développement. Ces derniers ont besoin d’avoir un niveau d’industrialisation plutôt fort avant de pouvoir se montrer compétitifs dans des marchés tels que la zone du TTIP prévoit.

En somme, bien que le TTIP reste un accord en cours de négociation, il subsiste beaucoup de questions tant économiques que sociales à régler. Quid des autres barrières non tarifaires tels que les quotas d’importation ou les subventions aux exportations ? Quels impacts sur la protection de l’environnement ou sur la protection sociale ? Que se passera-t-il si aucun accord ne voit le jour entre les USA et l’UE ? Il s’agit là de questions auxquelles nous n’aurons de réponses qu’avec le temps.

Avec la participation de Kathrin Martin.

 

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