Pourquoi je ne demande pas à mes amis musulmans d’afficher leur détachement avec les attentats de Paris

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Depuis les attentats de Paris, une idée qui avait émergé lors de l’attaque de Charlie Hebdo refait surface. Certains Français demandent aux musulmans, surtout s’ils sont eux aussi de nationalité française, d’afficher publiquement leur détachement avec les actes de terreur qui ont lieu au nom d’une certaine conception radicale de l’islam. Je considère cette demande irrecevable voire raciste pour au moins deux raisons.

 

Tout d’abord, en prenant en compte la subjectivité de ceux qui émettent et ceux qui reçoivent l’injonction, cette demande est basée sur un rapport de domination injuste. Dire « les Français de confession musulmane doivent se détacher des attentats, c’est la moindre des choses » lorsqu’on est Français, blanc et non-musulman induit un rapport de force latent.

En effet, en France, les musulmans représentent une minorité religieuse discriminée bien souvent sur des critères religieux mais aussi raciaux. Une simple personne portant un nom pas « assez français » au goût de certains, ou ayant la peau trop foncée, est souvent assimilée à un musulman.

La religion est racialisée. Cette attitude conduit à des aberrations telle que l’opposition de critères religieux (qui sont en fait le plus souvent des critères raciaux dissimulés) contre des critères eux bien raciaux (le fameux « Français de souche »).

Si l’on admet que les individus sont doués d’un minimum de libre arbitre et d’une certaine rationalité – telle qu’une vision libérale définirait de façon minimale l’individu – dire à un compatriote musulman: « Tu dois te démarquer des attentats » revient à nier son humanité. Cette négation est doublée d’un rapport de force post-colonial, d’autant plus fort si l’on prend en compte que je suis blanc, plutôt riche et de culture catholique. Pour la plupart des libéraux sensibles aux rapports de pouvoir, il est donc logique de qualifier une telle injonction de racisme néo-colonial dissimulé sous un argument d’unité nationale.

 

Ensuite, et peut-être plus intéressant, beaucoup de gens qui font cette injonction de démarcation se considèrent républicains au sens français du terme. Or, une telle injonction semble en contradiction claire avec les valeurs développées dans la doctrine républicaine. Demander à un de ses compatriotes d’afficher son détachement avec un acte sous prétexte qu’il partage une religion commune (pour autant qu’on puisse lier solidement l’islam et ses interprétations politiques …) avec les assaillants contredit l’idée même de République. « La République est une et indivisible », peut-on lire dans le texte constitutionnel. Pour aller vite, cela signifie que l’identité française ne doit pas, d’un point de vue normatif (c’est à dire dans un idéal à atteindre), être traversée par des religions, « races », etc. dans la sphère politique. Le droit de citoyenneté doit être détaché des identités particulières, c’est ce que nous dit le républicanisme.

Dans les faits, bien sûr que les personnes ont des confessions différentes, que le racisme et le sexisme existent, mais la doctrine républicaine propose de tendre à un effacement de ces clivages sur le terrain politique où tous les individus ont pour seul dénominateur commun : le statut de citoyen.

C’est le principal argument utilisé pour interdire les statistiques raciales (est-ce que cet argument est suffisant pour justifier cette interdiction est une autre question). Lorsqu’un citoyen français demande à un autre citoyen français de sortir de cette unité républicaine, de sortir de son statut de citoyen, sur le terrain politique, alors l’unité républicaine est tout simplement violée. En termes républicains, demander aux citoyens français musulmans de se détacher des attentats sous couvert du seul argument qu’ils sont musulmans c’est du racisme, qui est condamnable aussi en termes républicains et pas seulement en termes libéraux classiques. Sur la scène politique et publique, les individus ne doivent pas être forcés à quitter leur statut de citoyen et d’être réduit à leur religion. Sinon, accepter un tel glissement impliquerait également d’accepter les arguments religieux dans les débats politiques, ce que la doctrine républicaine rejette sans ambiguïté.

 

Il faut éviter les amalgames entre Islam et interprétations politiques radicales de l’islam, mais il faut également éviter de perpétuer des rapports de force injustes que seule une vision raciale latente peut justifier. Être républicain ne doit pas être synonyme de paternalisme racial.

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