Peut-on rire du tabou ?

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Le fameux « peut-on rire de tout ? » est plus que jamais remis en question ces derniers temps. Ce thème, bien que traité régulièrement et sans relâche, semble n’amener à aucune réponse ferme et définitive. Le long-métrage : Papa ou maman,  qui aborde avec humour noir le divorce et la garde parentale, ne fait pas exception à la règle et relance le débat.

« S’ils me choisissent, je perds !» Telle était la constatation du père de famille alias l’acteur Laurent Laffitte en plein divorce concernant le choix de la garde parentale. Papa ou maman, avec ses trois millions de spectateurs et son prix du public  au festival de l’Alpes d’Huez de 2015, est un succès. Malgré une réception plutôt chaleureuse, on ne peut nier que le réalisateur s’attèle à un sujet périlleux pouvant provoquer à la fois rires et grincements de dents. Il a en effet choisi de tourner en dérision le problème loin d’être anodin du divorce et de la garde parentale. En imaginant notamment une situation où le droit de garde serait considéré comme le pire des fardeaux. Les choses se compliquent lorsque les deux parents estiment que tous les coups sont permis pour faire en sorte que le choix de leur progéniture se porte sur l’autre partenaire. Humiliation, empoisonnement des enfants au liquide vaisselle, blessures volontaires à la suite d’un jeu de paint-ball : voilà ce qui nous attend durant 1h25 min.

Une interrogation de fond surgit : est-ce bon de rire du contenu du film ?  Ou est-ce que notre morale de spectateur bien-pensant devrait-elle faire naître en nous de l’indignation? Question qui nous ramène à la thématique suivante : peut-on rire de tout ? La complexité de ce débat est que l’interrogation à beau être sur toutes les lèvres, aucune solution à proprement parler n’est trouvée. On entendra souvent dire que le droit de tourner en dérision tous les sujets sans exception y compris les plus délicats est intrinsèque à une société où la liberté d’expression règne en maître.
Mais néanmoins une chose est sûre, l’humour n’a pas à être banalisé non plus, car il est vecteur de messages. Il exerce donc une influence sur les personnes, sur la collectivité. Reprenons l’exemple du film Papa ou maman, qui est une succession de scènes où le bien-être des enfants est sans cesse remis en cause. Leur quotidien est rythmé d’humiliations de la part de leurs parents. Pourtant tout ceci n’a pas l’air d’avoir un impact conséquent sur eux. Alors qu’ils devraient se sentir très blessés d’avoir été rejetés ainsi, on se trouve face à des enfants, bien que perturbés sur le moment, pas plus offusqués que cela par la suite. Rapidement, ils semblent avoir accepté la réalité de cet abandon parental avec facilité. Etant donné l’effet que peut exercer un film sur le public, n’est-ce pas tromper les gens sur la réalité ? N’est-ce pas banaliser un certain type d’égoïsme ? Utiliser le terme d’égoïsme ne semblerait pas être abusif. Car on se retrouve face à des parents qui ont posé le choix de privilégier leur bonheur personnel, quitte à balayer d’un revers de la main l’épanouissement de leur progéniture en les reléguant au second plan. Une autre chose qu’on peut remarquer en lien avec cette réalité bancale dépeinte : non seulement, il semblerait que les blessures faites soient traitées avec légèreté et vite oubliées, mais pire, les différents coups bas familiaux ont fini par renforcer la famille et raviver la flamme du couple parental. Ce type de film, bien que certains avanceront l’importance de nous amuser de toutes les circonstances et de posséder un second degré, n’est pourtant pas sans conséquences. En effet, comme dit précédemment, cet humour peut contribuer à modifier les normes de la société et à changer notre regard sur les choses, voire minimiser les répercussions que pourrait engendrer ce genre de rejet. Alors rire de tout, mais ne pas minimiser les conséquences, avoir cette conscience de la reconstruction humaine qu’elle engendrera, voire en faire état. Chose qui n’a pas été faite dans Papa ou maman.

A cela s’ajoute l’idée qu’il serait possible de rire de tout, mais néanmoins pas avec tout le monde. Alors qu’on pourrait penser que les personnes qui ont vécu au plus près ce genre de situations délicates trouveraient bénéfique d’en blaguer et auraient moins de difficultés que nous à traiter tout ceci avec plaisanterie, on se trouve plus souvent que ce que l’on pense face à des murs. Pourtant « le rire s’accompagne toujours d’une insensibilité, d’une indifférence : c’est une anesthésie momentanée du cœur, pendant laquelle l’émotion ou l’affection est mise de côté », disait Bergson. Mais quand les circonstances ont été vécues, on peut s’avérer y être très sensible, encore focalisé sur la souffrance. C’était le cas particulièrement avec quelques spectatrices rencontrées concernées par le thème car travaillant avec des enfants victimes de ce genre d’abus, voire les ayant traversés elles-mêmes. Rire du divorce avec une personne étant passée par cette épreuve familiale, plaisanter sur le viol avec quelqu’un ayant souffert d’abus, nous amuser du génocide rwandais avec une famille qui l’a subi, rire du suicide avec quelqu’un dont un membre familial a commis l’irréparable, et on risque de ne pas entendre d’éclats de rire en réponse à notre boutade. D’ailleurs, il n’est même pas toujours nécessaire d’avoir traversé cela nous-même ou d’avoir vu un proche souffrir de ces situations, car l’homme est doté d’humour mais je pense aussi de compassion. Compassion qui fera parfois barrage à un amusement franc et sincère.

Alors la dérision, bien qu’elle ne détruise pas un homme, n’est pas pour autant insignifiante. Le rire est bénéfique, dangereux et aussi subjectif. Une des nombreuses difficultés est de trouver un juste milieu entre les uns qui souhaitent plaisanter, et ce que les personnes en face peuvent porter. Mais là encore, la complexité s’invite. On ne peut nier que rire est bon pour la santé et si la manière d’y arriver passe par l’humour noir, soit. Mais notre interlocuteur et sa sensibilité propre devront être pris en compte, sous peine d’avoir de fortes chances de tomber dans la provocation et de remplacer le rire par la tourmente.

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Une réponse à “Peut-on rire du tabou ?”

  1. Avatar de Marie Caroline
    Marie Caroline

    Coucou Emmanuelle !
    Je n’ai plus facebook et je cherche a te joindre pour avoir de tes nouvelles mais tu n’es pas sur Linkedin… Je ne vais pas laisser mon numero ici donc si tu peux inscris toi sur Linkedin et envoie moi un message ca me ferait plaisir de savoir ce que tu deviens 🙂
    Marie-Caroline

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