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Élections universitaires et nouvelle faîtière : intérêts privés, intérêts politiques.

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tribune

À lire aussi : la réponse de Raphaël Thézée « la diffamation, le dernier recours de l’incompétence« 

Depuis quelques mois, l’idée d’un projet de nouvelle faîtière (AFU[1]) en opposition à l’association faîtière actuelle (CUAE[2]) fait son chemin à l’Université de Genève. Dans un article récent consacré à ce projet, Topo posait fort opportunément la question de l’importance « des rapports de pouvoirs inter-personnels et des intérêts privés »[3] dans les motivations de cette entreprise. Devant l’inconsistance des griefs reprochés à la CUAE, on pourrait y ajouter que les motivations politiques ne sont guère plus claires. Les étudiant-e-s gagneraient effectivement à connaître les dessous de cette affaire, comme d’ailleurs ceux des dernières élections universitaires, ces sujets étant moins éloignés qu’on ne veut bien l’admettre.

Confier la représentation des étudiant-e-s aux alumni ?

Le projet de nouvelle faîtière était prétendument motivé par un déficit de représentation des étudiant-e-s ou de leurs associations par la CUAE, décrite comme peu démocratique. En vérité, les statuts de la future AFU prévoient plutôt l’exclusion de l’immense majorité des étudiant-e-s de la structure associative, puisque seul-e-s les délégué-e-s des associations auront voix au chapitre, et que le bureau pourra se réunir à huis clos, sans même qu’un PV rende compte de ses décisions. Cet entre-soi qui sera sans doute très confortable est le résultat logique d’un processus de construction dans lequel on regrette que les complots de bas étage aient pris le pas sur un débat public nécessaire. Enfin, la réduction de la prise de décision à un petit cercle d’initié-e-s est également la porte ouverte à toutes les manipulations. Là aussi, on sait qu’un petit groupe d’anciens étudiants[4] (Christopher Chung, Mathieu Ischer, Raphaël Thézé…) est à l’origine du projet AFU et toujours (plus ou moins) discrètement à la manœuvre (et a visiblement prévu d’y rester comme en témoigne le statut de membre d’honneur prévu par les statuts pour « tout individu ayant contribué de manière exceptionnelle aux buts de l’AFU »). Certaines associations sont aux prises avec des représentant-e-s autoproclamé-e-s, comme l’AEL[5] que Pierre-Hugues Meyer ne représente pas, ce qu’il fait en allant à toutes les réunions du projet de nouvelle faîtière[6]. Enfin, ce tableau des thuriféraires de l’AFU ne serait pas complet si l’on omettait de citer le GUIC[7], quarteron d’apprenti-e-s spéculateur-trice-s réuni-e-s dans un « club d’investissement respectant l’éthique et la morale »[8], qui ont évidemment l’intérêt général et la défense des étudiant-e-s particulièrement à cœur.

…Ou directement au rectorat ?

Les services de l’Université ne sont jamais loin. Les alumni précités se sont signalés par leur docilité et leur entrain à porter des initiatives dont le rectorat ne pouvait que rêver. En leur accordant quelques menues récompenses (un strapontin au comité des alumni pour Chung, un discours au dies academicus pour Thézé…) et un soutien financier et logistique sans précédent pour leurs ambitions associatives, on s’assure qu’ils continueront de lécher la main qui les nourrit. Uniparty est certainement l’exemple le plus emblématique de la facilité déconcertante avec laquelle un projet « étudiant » qui a l’heur de plaire à une autorité universitaire – au hasard le service de communication – obtient illico des moyens considérables. Pour paraphraser Pierre Desproges, on pourrait à notre tour se poser une question : ou bien l’Université poursuit des objectifs politiques peu avouables, « et ça m’étonnerait tout de même un peu » ; ou bien elle a de l’argent à jeter par les fenêtres et s’apprête à subventionner massivement tout projet étudiant qui lui sera présenté, « et ça m’étonnerait quand même beaucoup ».

Si d’aventure cette joyeuse bande pouvait prendre le contrôle d’une seconde faîtière aux ordres, ce serait évidemment tout bénéfice pour les dirigeant-e-s de l’unige, qui apprécient le mouvement étudiant indépendant comme François Mauriac ses voisins germaniques : « J’aime tellement l’Allemagne que je suis heureux qu’il y en ait deux. » Il se peut cependant que le vent ait tourné, comme en témoigne la suppression de la généreuse subvention que le rectorat accordait jusqu’ici à Uniparty (encore une créature des alumni cités plus haut) malgré les bénéfices ahurissants de cette association et les prix prohibitifs qu’elle pratique. Le rectorat lui-même serait-il las des boniments de l’AFU ?

« Parole, parole, parole… » (Dalida)

Pendant qu’ils construisent leur petite structure autoritaire, les promoteurs de l’AFU n’ont que des belles paroles à la bouche. « Des mots magiques, des mots tactiques qui sonnent faux » (Dalida encore). La brochure de présentation de l’AFU, généreusement distribuée, liste trois objectifs que nous nous ferons une joie de détailler dans cet article. Après tout, démasquer les tartuffes est toujours un exercice plaisant… Premièrement, il s’agit d’« améliorer les conditions de vie des étudiants ». Comme l’essentiel des reproches adressés à la CUAE portent sur ses activités syndicales et politiques, on peut raisonnablement penser que cet objectif passera rapidement à la trappe, d’autant qu’aucune proposition ne figure dans le bréviaire de l’AFU. Un autre but est de « développer une cohésion associative », curieuse formule pour décrire la division des associations en deux faîtières distinctes. On peut raisonnablement penser que « diviser pour mieux régner » eût été une description plus correcte du projet.

Contrôler le discours, prendre le pouvoir, tomber le masque

Observer les séances préparatoires ou constitutives de l’AFU est un régal de fin gourmet pour qui cherche à comprendre une dérive sectaire. L’autoproclamé « maître de cérémonie » (MC), secondé par le « secrétaire de cérémonie » (SC)[9], contrôle les tours de parole et s’assure que tout droit de réponse ne dépasse pas une minute, ce qui évite toute expression d’un discours complexe qui pourrait remettre en cause l’autorité du gourou-MC. Lors de l’AG constitutive du 19 mai dernier, ces prétendus démocrates sont allés plus loin et ont supprimé tout droit à la parole à toutes les associations qui auraient pu engager une discussion, en inventant en direct la différence entre les statuts d’invité (ceux qui pensent comme eux) et d’observateur (le vaste monde hostile). Le soussigné, qui représentait une association officiellement conviée, s’est donc vu retirer tout droit à la parole, au mépris de la liberté d’expression et de la courtoisie élémentaire. Voir ensuite le MC se répandre en excuses de pure forme donnait la mesure de toute la félonie dont sont capables ces gens. « Faut vous dire Monsieur / Que chez ces gens-là / On ne vit pas Monsieur / On ne vit pas, on triche » (Jacques Brel).

La conception du débat contradictoire de l’AFU peut donc se résumer à ce dialogue entre Alice et le Gros Coco :

– Mais : « gloire », ne signifie pas : « un bel argument sans réplique ! »

– Quand, moi, j’emploie un mot, déclara le Gros Coco d’un ton assez dédaigneux, il veut dire exactement ce qu’il me plaît qu’il veuille dire… ni plus ni moins.

– La question est de savoir si vous pouvez obliger les mots à vouloir dire des choses différentes.

– La question est de savoir qui sera le maître, un point c’est tout[10].

Remplacez dans l’extrait ci-dessus les termes entre guillemets par « démocratie universitaire», « vie étudiante », « vraie faîtière », « représentativité », « transparence », « éviter la division » ou n’importe quoi d’autre que vous aurez lu dans Etumag[11], et vous aurez la machine brevetée pour créer les débats d’idées aux assemblées générales de l’AFU pour la prochaine décennie[12].

Le bilan de deux ans d’inactivité : la tête à Toto

Comme l’AFU n’existe pas à l’heure où nous écrivons ces lignes, on aurait beau jeu de nous accuser d’un procès d’intentions. C’est sans compter sur le troisième objectif mentionné dans la brochure, lequel est – malheureusement pour ses promoteurs – susceptible de donner lieu à un bilan. On nous propose de « développer la représentativité étudiante ». Dans ce contexte, la promotion d’une liste alternative à la liste des associations pour les élections à l’assemblée de l’Université est logique. On y retrouve sans surprise quelques-uns des plus ardents défenseurs de la nouvelle faîtière, qui proclament sottement que l’AU « est l’organe suprême de l’Université de Genève »[13] au mépris de la loi et de la logique élémentaire.

Il y a deux ans, les dernières élections avaient aussi été marquées par le dépôt d’une liste concurrente à celle des associations nommée « Pour une démocratie universitaire vivante et représentative ». Les partisans de l’AFU y figuraient déjà en bonne place, notamment Pierre-Hugues Meyer et Hugo Marchand. Les trois élu-e-s de cette liste se sont signalé-e-s par une absence totale d’activité durant leur mandat : zéro projet déposé, zéro question au rectorat, zéro participation aux commissions de l’assemblée[14]. Par charité, on vous laisse le soin de faire l’addition de leurs réalisations en faveur des étudiant-e-s. Et imaginer l’influence que ces trois zozos ont eue sur l’élection du nouveau recteur…

Défendre les étudiant-e-s sans faire de politique

Il faut tout de même laisser aux représentant-e-s de la « démocratie universitaire vivante et représentative » le mérite d’une certaine cohérence. Leur inactivité n’est (peut-être) pas uniquement due à leur paresse ou à leur manque de courage pour défendre les intérêts estudiantins, mais elle se conforme surtout au dernier mot d’ordre à la mode : une véritable faîtière ne doit pas faire de politique. Et en ce sens, le plus sûr reste de ne rien faire du tout. Blagues à part, il faut surtout comprendre que ce sont avant tout les positions de la CUAE – votées, rappelons-le, en assemblée générale – qui posent problème : soutien à l’initiative sur les bourses de l’UNES[15], soutien aux étudiant-e-s sans-papiers, prise de position en faveur du logement étudiant, etc.

Ce que cache le « ni gauche ni droite »

Contrairement à ses prétentions, la combinaison nouvelle faîtière-liste no 1 obéit donc à un projet idéologique précis, même si tou-te-s les partisan-e-s de l’AFU n’en sont pas nécessairement conscient-e-s. Le refus de prendre des positions claires n’est qu’une version molle du « ni gauche ni droite » qui fait le bonheur de l’extrême-droite depuis plus de quatre-vingts ans, des fascistes français des années 1930 au MCG actuel. Ce faux nez est d’ailleurs bien vite tombé après les élections universitaires de 2013 lorsqu’un élu de la liste alternative, Michaël Andersen, a été candidat UDC au Grand Conseil. D’autres promoteurs de l’AFU se sont également distingués, comme Hugo Marchand qui critiquait lors d’une réunion la présence de l’antiracisme parmi les buts statutaires de la CUAE. La palme revient toutefois à Pierre-Hugues Meyer (encore lui, il est très fort !), qui faisait carrément la promotion du totalitarisme dans un article de REEL : « Il faudrait qu’un coup d’État mette au pouvoir des individus capables de parfaitement gérer la société et l’information, à l’image de l’utopie imaginée par Georges [sic !] Orwell dans 1984, bien que l’auteur ne la considère pas ainsi »[16]. Du côté de l’AFU, un simple coup d’œil sur les membres fondateurs est également riche de précieux enseignements puisqu’on y rencontre le gratin du néo-libéralisme universitaire : AIESEC, GUIC, Junior Entreprise, GSEM Committee[17], etc.

Un débat public nécessaire

Les raisons personnelles qui motivent la création d’une nouvelle faîtière sont donc intimement liées à des raisons politiques et idéologiques encore bien moins avouables. Il ne s’agit évidemment pas d’empêcher l’expression des opinions réactionnaires et antisociales des séides de l’AFU, mais bien de mettre en évidence le procédé sournois consistant à les faires passer pour un aimable rassemblement apolitique d’étudiant-e-s. Si la rédaction de cet article, aussi pénible soit-elle, nous a paru nécessaire, c’est qu’aucun débat public n’a encore eu lieu sur ces questions, et que la structure qui a été imposée pour l’AFU est si antidémocratique qu’elle garantit qu’il ne puisse jamais avoir lieu, au point que certains comités se proposaient de la rejoindre sans même réunir leur assemblée générale. La défense des intérêts estudiantins et la vie associative à l’Université de Genève valent à n’en pas douter mieux que ces complots nauséabonds, et il n’est peut-être pas trop tard pour que tou-te-s les étudiant-e-s soient impliqué-e-s dans ce débat.

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3 réponses à “Élections universitaires et nouvelle faîtière : intérêts privés, intérêts politiques.”

  1. Avatar de Guillaume Gabriel
    Guillaume Gabriel

    Mais quel article haineux, pleins de frustrations et de mauvaise foi …. Je pensais que la CUAE avait atteint le fond mais là vous avez creusé encore plus profondément.

    Assez de cette CUAE, association d’extrémiste gauchiste qui ne représente pas la mentalité des étudiants de l’UNIGE.
    Longue vie à l’AFU, enfin une association qui représente la majorité des étudiants: ouvert d’esprit et prêt à travailler main dans la main avec le rectorat pour améliorer la vie des étudiant au sein de notre Université

  2. Avatar de MC
    MC

    Guillaume Gabriel : attention, tu mélanges. Ignace n’est PLUS secrétaire de la CUAE – le point de vue de cet article est personnel. Tout comme il ne représente pas celui de TOPO, tu ne peux pas non plus l’associer à celui de la CUAE. Je comprends ta réaction, mais elle est simpliste et aussi excessive que la position que tu critiques.

    Bien que je ne cautionne pas la colère sous-jacente et les attaques personnelles contenues dans cet article, les arguments avancés sont fondés. Il y a effectivement nombre d’incohérences dans le projet de l’AFU, qui, lorsqu’elles ont été soulevées lors d’interminables réunions, n’ont pas obtenu de réponse ou de justification satisfaisante. Le « pôle politique étudiante » de la faîtière en est un exemple flagrant (cf. l’article TOPO qui décortique le rapport des négociations entre la CUAE et l’AFU).

    Il aurait été plus simple (et bien plus intéressant) de réformer la CUAE de l’intérieur en demandant l’avis de tous les étudiant-e-s – en y renforçant un pôle de vie étudiante, par exemple, comme il a été proposé au tout premier groupe de travail – plutôt que d’opposer des représentant-e-s qui ne peuvent pas se voir et qui restent campés sur leur position en prétendant que tout le monde travaille à « améliorer la vie des étudiant-e-s ».

    Le problème principal est bien sûr celui de la division de la voix étudiante, dont je doute fortement qu’elle participe de ladite « amélioration ». L’AFU aura prétendu jusqu’à la fin vouloir au contraire rassembler, avant de créer unilatéralement sa faîtière, forçant une division effective des associations en deux camps. Qui en pâtira ? Les étudiant-e-s. En effet, le rectorat aura la tâche facilitée de refuser un quelconque avancement des problématiques étudiantes : « En premier lieu, mettez-vous d’accord entre vous », nous diront-ils.

    Bravo, et merci.

  3. Avatar de SC
    SC

    J’ai du mal à comprendre la pertinence d’attaquer de manière si virulente et répétée certaines personnes (5, au total), alors que l’AFU rassemble 17 associations et a élu lors de son AG constitutive 8 membres du bureau (dont aucune des personnes citées par l’article). Que les attaques soient pertinentes ou non (ce dont je doute, mais je ne veux pas entrer dans ce débat), ce point de vue n’en est pas moins extrêmement réducteur en regard des personnes réellement impliquées dans le projet AFU. Il en est de même pour les associations : pourquoi citer GSEM Committee, le GUIC, la JEG et l’AIESEC (associations qui, du reste, n’ont rien à voir l’une avec l’autre, si ce n’est leur lien avec la Faculté de GSEM. À moins de rejeter en bloc une Faculté de l’UNIGE, je ne comprends pas le lien établi) plutôt que l’AET (théologie), l’AEP (physique), l’ADEPSY (psychologie) ou encore AEHA – Ekphrasis (histoire de l’art) ? L’AFU regroupe, pour l’instant, des associations issues de 6 Facultés et d’un Institut, plus de nombreuses associations enregistrées. Pourquoi la réduire aux associations de GSEM ?

    Il en est de même pour les liens liste 1 – AFU et liste 1 2013 – liste 1 2015. Ces deux liens sont l’oeuvre de raccourcis peu justifiables. Concernant le lien entre la liste 1 et l’AFU, il est important de rappeler que l’AFU n’a apporté de soutien officiel à aucune liste, que des personnes impliquées dans le projet AFU étaient présentes sur les deux listes et que des associations membres fondatrices de l’AFU (l’AED et l’ADEPSY, par exemple) ont proposé, elles aussi, des candidats sur les deux listes. La liste 1 était totalement indépendante de l’AFU. Il est vrai que plusieurs de ses membres ont été impliqués dans le projet AFU, mais c’est lié au fait que ce projet leur a permis de se rencontrer, rien de plus. La liste comprenait également des personnes n’étant absolument pas impliquées dans l’AFU, voire qui n’y sont pas favorables.

    Pour ce qui est du lien liste 1 2013 – liste 1 2015, il me semble important de noter que le seul élu sortant figurant sur la liste « Améliorons la vie des étudiants » (liste 1 2015) est Hadrien Komaromi, qui se trouvait en 2013 sur la liste des associations. Les quatre membres de la liste « Pour une démocratie universitaire vivante et représentative » (liste 1 2013) qui ont siégé à l’Assemblée de l’Université ne se sont pas représentés et n’ont rien à voir avec la liste Améliorons la vie des étudiants. Si on excepte le numéro de la liste (lié au simple fait que la liste a été déposée en premier), je ne vois aucune raison d’associer les listes 1 de 2013 et de 2015.

    Souhaiter initier un débat est parfaitement légitime. Le projet n’est pas parfait et il est pleinement légitime d’avoir des interrogations à son sujet. Néanmoins, cela ne peut se faire qu’en menant une réflexion de bonne foi, en remplaçant les attaques personnelles par une argumentation construite. En l’état, plus de la moitié de l’article (7000 caractères sur 12 000) est consacrée à des attaques personnelles ou envers certaines associations, à des théories complotistes (le Rectorat est décidément machiavélique) ou encore à des hors-sujets (quel est le lien entre les subventions d’UniParty et l’AFU ? De même, l’inexistence de celui entre la liste 1 et l’AFU a déjà été démontrée). C’est beaucoup trop pour pouvoir ouvrir une discussion féconde, ce qui est dommage pour un article réclamant un « débat public ».

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