L’art de lire entre les lignes

Avatar de Tristan Boursier

Comment garder, en tant que lecteur, une certaine autonomie face au flux continu de nouvelles ?

    L’information en période de guerre n’est pas forcément une chose aisée et les causes en paraissent bien évidentes. La fiabilité, la fréquence et la qualité des nouvelles nous provenant d’un conflit, quel qu’il soit, sont des plus discutables. Du fait de savoir ce qui doit être conservé ou écarté, au moment de la publication, découlent bien des questions d’ordre éthique sur lesquelles se base le journalisme, enfin le devrait-il. A moins bien sûr que d’autres impératifs, plus mercantiles ceux-là, viennent à écourter cette réflexion.

Quantité de journalistes et de photographes, peu enclins à remplir la rubrique des chiens écrasés d’un journal de province, se rendent en des lieux pas franchement accueillants pour nous ramener des nouvelles plus crédibles que celles aimablement fournies par le service de presse du dictateur local. A la lecture de nos journaux quotidiens force est de constater que cela ne représente pas l’intégralité des sources qui y sont relayées. Mais dans ce cas, d’où provient cette comptabilité des plus morbides qui ne semble pas attrister le moins du monde certains dirigeants de notre vaste monde?

Parmi ces conflits, il en est un que l’on retrouve quasi quotidiennement dans nos journaux, à savoir celui qui fait rage en ce moment en Syrie. Si quelques journalistes téméraires parviennent à s’introduire dans ce pays, ils ne représentent pas la totalité des sources dont la presse occidentale se fait écho. A la lecture de ces papiers, il est intéressant de constater qu’un acronyme des plus mystérieux revient de manière récurrente: l’OSDH ou SOHR pour les anglophones. Bien que fréquemment cité dans les articles traitant de la Syrie, peu de détails nous parviennent à son sujet. Quel est cet organisme? Où se situe-t-il? Quels sont ses contacts? Qui le finance? Bien des questions qui semblent rester sans réponse. L’idée n’est pas de prétendre qu’il n’est pas fiable et qu’il ne devrait pas avoir voix au chapitre, mais il semblerait opportun d’obtenir quelques précisions le concernant de la part des journalistes qui s’y réfèrent. Chose qui n’est, malheureusement, pas toujours faite de manière très claire.

Pourtant, si l’on s’en donne la peine, il est possible d’obtenir quelques détails concernant cet « observatoire Syrien des droits humains » (OSDH) sans pour autant déployer un bataillon de grands reporters sur place.

A en croire le « New York Times » [1], qui n’est pas à proprement parler un journal à potins, ce groupe consisterait essentiellement en un homme seul ayant quitté la Syrie il y a 13 ans et opérant à distance depuis son domicile de Coventry (ville anglaise proche de Birmingham) [2]. Il y recevrait quotidiennement des emails en provenance de Syrie de la part d’activistes opposés au régime. Il ne s’agit là que de quelques exemples ayant pour unique but d’illustrer le propos et non d’une enquête pointue sur cette organisation. La question n’est pas là.

La problématique se situe vraiment au niveau du peu de transparence quant à la fiabilité de cette source dans les articles traitant du sujet. Face à ces incertitudes, le minimum serait de prévenir le lecteur du degré de confiance à accorder à celle-ci. D’autant plus que le nom même de cette organisation prête à confusion, le terme « d’observatoire » n’est pas anodin et est fréquemment utilisé s’agissant d’organismes liés aux droits de l’homme, ce qui pourrait, peut-être à tort, conduire le lecteur à accorder une trop grande confiance à cette source.

Vu les difficultés d’accès et le nombre de groupements ou d’Etats impliqués, de près ou de loin, dans ce conflit, faire la part des choses entre les nouvelles qui nous en arrivent n’est pas des plus évident. Se passer d’une source aussi discutable soit-elle n’est pas forcément envisageable, mais il faut, tout du moins, informer le lecteur sur le crédit à lui accorder. Libre à lui, après, d’y opérer un tri et de hiérarchiser un tant soit peu les informations que l’on porte à sa connaissance.

A notre époque, nouvelles technologies aidant, le citoyen lambda reçoit quantité de nouvelles par des voies très diverses. Au premier abord cela peut sembler positif, car le nombre pléthorique de médias mis à sa disposition devrait lui permettre, aisément, de recouper les informations pour se faire une idée plus juste de la situation. Deux raisons s’opposent à cette vision quelque peu idyllique. D’une part le mode de lecture, car bien rares sont les gens qui lisent chaque article dans son ensemble. Le plus souvent, le lecteur va opter pour une lecture rapide, sautant de titres accrocheurs en phrases mises en exergue ça et là afin d’attirer son regard. Vu sous cet angle, une lecture critique, en gardant une certaine distance avec le texte paraît bien compromise. D’une autre part, comment effectuer ce recoupement alors qu’une majorité de ces médias utilise les mêmes sources sans plus de précautions les uns que les autres ?

    Tout ceci ne contribue en rien à nous éclairer sur un conflit bien plus compliqué qu’il n’y paraît et qui ne se limite peut-être pas à une opposition entre le CNS (Conseil national Syrien) d’un coté et l’armée régulière de l’autre. L’article de Yves Félix publié sur Topolitique.ch le 27 octobre dernier tend à nous le confirmer.

Tagged in :

Avatar de Tristan Boursier

Laisser un commentaire