Votations populaires du 28 novembre 2021 : mise en relief de trois mesures controversées

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Après la votation populaire du 26 septembre 2021 portant sur l’allègement de l’impôt sur les salaires et sur le mariage pour tous, les citoyen.e.s suisses sont de nouveau sollicité.e.s et devront se présenter aux urnes de leurs cantons. Le 28 novembre 2021, le peuple suisse se prononcera sur trois mesures fédérales.

La première décision est la validation ou non de la modification du 19 mars 2021 de la loi COVID-19. Si cette mesure est acceptée, aucun changement ne s’opérera, mais si cette dernière est invalidée, un retour à la loi initiale, moins rigide, se mettra en place. 

La seconde décision est l’initiative sur les soins infirmiers. Cette mesure offre une réponse à la nécessité de la Suisse d’avoir un personnel soignant présent et qualifié. Entre une subvention pour les formations et une réglementation des conditions de travail des infirmiers et infirmières, certain.e.s pensent que cette initiative va trop loin. Ainsi, en cas de refus lors de la votation, un contre-projet moins engageant sera appliqué. 

La dernière décision porte sur l’initiative sur la justice. Au sein de celle-ci est effectuée une remise en question de l’élection des juges fédéraux et de leur indépendance par la mise en place d’un tirage au sort au lieu d’une nomination des juges par le Parlement. À la suite de leur mandat, une réélection ne sera plus possible, ils ou elles pourront alors rester jusqu’à cinq ans après avoir atteint l’âge ordinaire de la retraite.

Modification du 19 mars 2021 de la Loi COVID-19 : extrémisme ou modération ?  

En septembre 2020, le Conseil fédéral a adopté la première Loi COVID visant à «  lutter contre l’épidémie de COVID-19 et à surmonter les conséquences des mesures de lutte sur la société, l’économie et les autorités » [1]. Cette loi s’est inscrite dans un contexte de pérennité des mesures d’urgences édictées par le Conseil fédéral durant la pandémie. Ainsi, des mesures telles que le prolongement des aides financières pour les indépendant.e.s et les employeur.se.s ont été mises en place, tout en instaurant de nouvelles aides touchant par exemple le tourisme, le sport et la culture. Une demande de référendum remettant en question cette loi a été déposée et un vote s’est effectué en juin dernier. Le corps électoral a voté «  contre »  ce référendum, signifiant que la loi a été acceptée par la population [2]. 

De nombreux changements dans la loi se sont inscrits durant la pandémie, comme la mise en place d’une modification importante par le Parlement le 19 mars 2021, instaurant notamment le système de traçage des contacts, le certificat COVID, ainsi qu’une extension des aides financières [2]. Ces mesures urgentes seront remises en question lors du nouveau référendum qui aura lieu le 28 novembre 2021. Si ces modifications sont acceptées, alors elles continueront à perdurer dans le temps. Si néanmoins le peuple refuse la modification de mars 2021, alors les mesures non-exhaustives telles que le système de traçage des contacts, le certificat COVID et l’extension des aides financières seront supprimées [3]. 

Les débats entre les partisan.e.s et les opposant.e.s de la loi tournent autour de trois principaux axes : la liberté des personnes vaccinées et celle des non-vaccinées, le traçage des contacts et la question de la loi COVID-19 en tant que loi démocratique.

La discrimination des personnes non-vaccinées est un argument majeur des opposant.e.s de la loi. En effet, le certificat COVID et l’ouverture de certaines activités uniquement aux personnes vaccinées inspire un sentiment de rejet social à une part de la population. Selon Michelle Cailler, porte-parole des Amis de la Constitution, « cela crée une société à deux types de citoyens, les vacciné.e.s et les non-vacciné.e.s […] relégué.e.s comme des pestiféré.e.s » [4].

Selon le conseiller national et vice-président du Parti socialiste suisse, Samuel Bendahan, « La discrimination ce serait de dire si une personne, en fonction de sa couleur de peau, sa religion, son sexe, n’aurait pas le droit d’être vaccinée » [5]. En sus de cela, toute personne ne souhaitant pas se faire vacciner peut tout aussi bien se faire tester, et ainsi accéder à toutes les activités que propose le pays. La vaccination n’est pas obligatoire et des alternatives existent pour une vie en société pérenne. 

Le questionnement suivant se situe dans le traçage des contacts. Les opposant.e.s de la loi COVID-19 voient cette mesure comme une volonté de surveillance électronique de masse de la population et prennent même l’exemple de la surveillance totale que le parti communiste chinois impose à sa population [6]. Ces idées sont déconstruites par l’Office Fédérale de la Santé Publique (OFSP), expliquant que « la loi COVID-19 ne contient aucune base pour l’exploitation d’une base de données de traçage des contacts » [7]. Ces données ne seront donc utilisées de quelconque autre manière. De plus, chaque canton détenant ses bases de données, celles-ci se doivent de veiller au « respect des dispositions relatives à la protection des données », conformément au second alinéa de l’article 58 de la Loi sur les épidémies du 28 septembre 2012 [8].

Finalement, un argument fort de cette lutte pour la continuité de cette loi se situe dans l’idée d’un vote non-démocratique où certaines informations ne seraient pas données explicitement. À titre d’exemple, selon l’ancien juge fédéral Karl Spühler, la question du certificat COVID n’est pas mentionnée une seule fois. Or, « la question du vote doit être sans ambiguïté. Ce n’est pas le cas ici », affirme-t-il [9]. Néanmoins, nul n’étant censé ignorer la loi, chaque information, document ou ressources relatives à la législation peut être immédiatement consultable par quiconque le souhaite. De plus, la loi a été adoptée par le Parlement et votée au scrutin proportionnel par la population ; la loi est donc démocratique. Au peuple suisse de décider s’il souhaite poursuivre l’application de ces mesures ou les entériner définitivement.

Soins infirmiers : vers le trop loin ou le pas assez loin ?

L’Association Suisse des Infirmières et Infirmiers (ASI) propose l’initiative populaire « Pour des soins infirmiers forts ». Déposée à la Chancellerie fédérale le 7 novembre 2017 avec 114’00 signatures, elle demande à la Confédération et aux cantons de reconnaître la place prépondérante des soins infirmiers dans le domaine de la santé [10]. Applaudi.e.s lors du premier confinement, les infirmières et infirmiers souhaitent désormais l’instauration de mesures concrètes pour une revalorisation de leur profession.

Le comité à l’origine de l’initiative part du postulat selon lequel l’accès à des soins infirmiers suffisants et de qualité doit être garanti à tout un chacun. Constatant le besoin croissant de soins, le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies, la formation des soignant.e.s est, selon lui, à améliorer. Ainsi souhaite-t-il la garantie d’un nombre suffisant d’infirmier.e.s diplômé.e.s [10]. La Confédération et les cantons devront également veiller à ce que la formation et la compétence du personnel soient prises en compte lors de son affectation dans le domaine des soins infirmiers. Ce sont les raisons pour lesquelles l’initiative populaire appelle à une réglementation des conditions de travail, de la rémunération des soins infirmiers, du développement professionnel et des pratiques de facturation [11]. Ces mesures visent en outre à éviter le départ prématuré de plus de 40 % du personnel soignant, un tiers ayant moins de 35 ans [12].

Sophie Ley, présidente de l’Association Suisse des Infirmières et Infirmiers (ASI) et membre du comité de l’initiative sur les soins infirmiers relève que : « Les soignant.e.s sont au bord de l’épuisement depuis trop longtemps. Beaucoup trop sont éreinté.e.s et quittent la profession parce qu’ils.elles ne voient aucune perspective d’amélioration » [13]. Quant à l’impact de la pandémie de COVID-19, elle ajoute que « [celle-ci] a encore augmenté la charge de travail de nombreux.ses soignant.e.s » [13]. Pourtant, un personnel soignant en suffisance diminuerait le risque d’erreurs pouvant être évitées. Actuellement, la qualité des soins requise serait également mise à mal. Delphine Bachmann, présidente du Centre Genève et infirmière de formation, témoigne elle aussi de la pression à laquelle est soumis le personnel soignant : « Les infirmières ont, durant la crise et depuis des années, donné sans compter, silencieuses, ordonnées, solidaires, enchaînant les horaires. La difficulté étant une norme  » [14]. 

Image du National Cancer Institute (Unsplash)

Conscients de la période difficile à laquelle les professions des soins infirmiers sont confrontées et l’insuffisance de personnel compétent, le Conseil fédéral et le Parlement désirent eux aussi améliorer la situation du personnel soignant et garantir la qualité de soins. Cependant, le Parlement a recommandé le rejet de l’initiative. Il discute d’une part de la promulgation de dispositions constitutionnelles propres à une seule catégorie professionnelle. Il estime d’autre part que les exigences émises par les auteur.ices de l’initiative sont excessives et cite à dessein une rémunération appropriée des soins infirmiers et des conditions de travail conformes aux exigences. Ainsi les conseils ont-ils adopté un contre-projet indirect qui entrerait en vigueur en cas de rejet de l’initiative et d’absence de référendum [10]. Celui-ci consiste tout d’abord en l’introduction au sein de la législation de l’obligation de mettre en place une campagne de formation à travers le financement de la Confédération et des cantons. Le contre-projet prévoit en outre la possibilité pour le personnel soignant de fournir certains soins de base sans prescription médicale. Ces derniers seraient ainsi à la charge de l’assurance obligatoire des soins. Actuellement, seules les prestations prescrites par un médecin peuvent être facturées [11].

Alain Berset, chef du Département fédéral de l’intérieur, affirme à propos des conditions de travail que « ce n’est pas à la Confédération de veiller à les réglementer.  […] Il s’agit du seul point de l’initiative qui n’est pas repris par le contre-projet et qui justifie son rejet. […] Tout comme l’initiative, le contre-projet donnera plus d’autonomie aux infirmiers et aux infirmières » [15]. Ces arguments ne semblent pas convaincre, puisque le comité d’initiative estime que le contre-projet se concentre essentiellement sur la formation des futures infirmières et infirmiers. Quant à la surcharge du personnel soignant, ses conditions de travail difficiles et son départ prématuré de la profession, seule l’initiative permet de les améliorer [12]. C’est désormais au peuple de statuer en faveur de l’initiative populaire ou du contre-projet indirect.

Désignation des juges fédéraux par tirage au sort : le jeu de la justice et du hasard ?

L’initiative populaire intitulée « Désignation des juges fédéraux par tirage au sort » souhaite changer le système électoral actuellement en vigueur en Suisse. Le Parlement élit en effet les juges fédéraux tous les six ans. La Commission judiciaire, elle, est chargée de présenter les candidat.e.s potentiel.e.s. Ces institutions assurent ainsi une représentation proportionnelle des partis politiques siégeant au Tribunal fédéral [16]. 

Si la procédure actuelle semble avoir convaincu le Conseil fédéral et le Parlement en raison de l’attention portée à la transparence et aux rapports de force politiques, elle ne fait pourtant pas l’unanimité. Le comité à l’origine de l’initiative l’estime en effet restrictive en matière d’indépendance des juges. Les personnes n’étant pas affiliées à un parti n’auraient en outre aucune chance de siéger à la Cour suprême [17]. Ainsi, l’initiative populaire, déposée le 26 août 2019 à la Chancellerie fédérale avec 130’100 signatures valables, désire instaurer le tirage au sort en vue de la renouveler [18].

La désignation des juges fédéraux par tirage au sort prévoit la constitution d’une commission indépendante composée de spécialistes. Celle-ci serait amenée à choisir les personnes pouvant y prendre part et porterait une attention particulière aux aptitudes professionnelles et personnelles des aspirant.e.s. Les langues officielles de la Confédération pourraient également être examinées afin de garantir une représentation équitable. Après leur nomination, les juges fédéraux pourraient exercer leur fonction jusqu’à cinq ans après avoir atteint l’âge ordinaire de la retraite et la présentation à leur réélection ne serait plus admissible. L’Assemblée fédérale, à la demande du Conseil fédéral, se verrait attribuer la compétence de les révoquer, mais seulement dans des cas exceptionnels concernant essentiellement la violation sérieuse aux devoirs de fonction ou la perte de la capacité à l’exercice de cette dernière [18].

Le Conseil fédéral et le Parlement se sont prononcés contre l’initiative populaire. La procédure de tirage au sort ne leur semble pas adaptée à la désignation des juges fédéraux. Lors de la Conférence de presse du Conseil fédéral du 11 octobre dernier, Karin Keller-Sutter, cheffe du Département fédéral de justice et police, a déclaré : « Avec cette initiative, c’est le hasard qui déciderait, or le hasard ne choisit pas forcément les personnes les plus compétentes, mais celles qui ont de la chance » [19]. Les autorités fédérales invoquent également l’argument selon lequel les juges fédéraux prennent leurs décisions de manière objective. Ces dernières considèrent ainsi que le système actuel de nomination des juges fédéraux a démontré l’étendue de sa compétence et ne requiert pas une entière révision [20].

Le Tribunal fédéral à Lausanne (Tribunal fédéral)

L’instigateur de l’initiative populaire se nomme Adrien Gasser. Ce riche entrepreneur thurgovien, connu de la Haute Cour, souhaite renforcer l’indépendance de la justice en Suisse [21]. « Les personnes qui recherchent une protection contre des décisions qu’elles considèrent comme injustes, ont le sentiment, dans ces conditions, de n’avoir aucune chance », affirme-t-il [17]. Karine Stadelmann, politicienne lucernoise centriste, appuie l’argument en se fondant sur le constat du Groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe (GRECO) : « Le caractère politique de l’attribution des postes et le maintien de l’impôt de mandat versé aux partis politiques violent le principe d’indépendance de la justice ». De surcroît, elle estime que « la jurisprudence serait mieux acceptée si les gens savaient que les juges n’appartiennent à aucun parti et peuvent être désigné.e.s indépendamment d’une affiliation à un parti » [22].

Si les premiers sondages semblent montrer le rejet du texte par le peuple suisse, l’initiative populaire fait toutefois réfléchir sur l’influence de la politique au sein de la justice [23]. À l’image de la modification du 19 mars 2021 de la loi COVID-19 et de l’initiative populaire « Pour des soins infirmiers forts », elle a suscité de vifs débats. Ainsi, les résultats des votations populaires de dimanche prochain sont très attendus…

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