Coup de barre à gauche ou montée populiste : qui profitera de la crise du coronavirus ?

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Depuis quelques semaines, le monde tourne au ralenti. La double crise sanitaire et économique que nous vivons affecte de très nombreux domaines et nous sommes tous touchés, d’une manière ou d’une autre, par cette pandémie de coronavirus d’une ampleur inédite. Dans ce contexte particulier, de nombreux spécialistes ont cherché à comprendre quelles pourraient être les conséquences de ces bouleversements sur le comportement électoral des individus. La question, qui consiste à se demander quelles sont les forces politiques qui pourraient profiter de la situation actuelle, est plutôt simple. La réponse l’est beaucoup moins. Alors que certains imaginent un retour en force de l’Etat-providence à travers le monde, d’autres évoquent plutôt une montée des valeurs conservatrices et du populisme de droite.

Rally around the flag 

Avant de s’intéresser aux prévisions sur le monde d’après, jetons un œil à ce qu’il s’est passé en politique depuis le début de la crise. Début mars, lorsque la Suisse prend des mesures telles que la fermeture des écoles et des restaurants, personne ou presque ne les conteste. Selon un sondage publié quelques jours plus tard, seuls 15% des habitants du pays affirment ne pas faire confiance au Conseil fédéral [1]. Ce soutien au gouvernement, alors que la crise sanitaire commence à prendre une tournure inquiétante, n’est pas spécifique à la Suisse. En effet, Boris Johnson, Emmanuel Macron ou encore Justin Trudeau, pour ne citer qu’eux, ont tous vu leur popularité augmenter au moment où l’OMC déclarait que le Covid-19 était une pandémie [2]. Quelle que soit la couleur politique des gouvernements et leurs manières de gérer la crise, ils semblent donc avoir bénéficié de celle-ci dans les sondages. Par ailleurs, dans de nombreux pays, ce soutien aux leaders s’est accompagné d’un regain de patriotisme. Ce phénomène, que l’on appelle rally around the flag [3], et que l’on observe aussi lors d’un attentat par exemple, démontre que l’opinion public peut changer très rapidement en temps de crise [4]. Toutefois, cet effet ne dure pas toujours longtemps, d’autant que la crise sanitaire du Covid-19 est en train d’entraîner une crise économique et que les crises économiques ne bénéficient généralement pas aux gouvernements en place. Nathalie Giger, Professeure de comportement électoral à l’UNIGE, le confirme : « Si la crise économique s’aggrave, il y aura certainement une sanction pour les titulaires. » [5] Cette sanction de l’électorat vis-à-vis des chefs d’Etat et des partis au pouvoir pourrait prendre la forme d’un vote pour l’opposition ou pour des partis dits challengers. Reste à savoir si ceux-ci seront davantage à gauche de l’échiquier politique, à droite, ou même à l’extrême droite.

Source: The Economist, https://www.economist.com/leaders/2020/04/09/wisconsin-or-how-not-to-run-an-election-while-covid-19-is-spreading

Virage à gauche ? 

Certains prédisent une montée en puissance de la gauche, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, la crise sanitaire semble avoir rendu sa valeur au service public. En effet, en Suisse comme dans d’autres pays, plus une semaine ne passe sans que ne soit évoquée la question du salaire du personnel soignant. Deuxièmement, le retour de l’Etat interventionniste, à travers l’octroi d’aides financières, semble avoir été tout à fait nécessaire dans de nombreux domaines. Christian Levrat, Conseiller aux Etats socialiste, le disait le 3 mai dernier à la RTS : « Ce que l’on a vu durant cette crise, c’est le côté incontournable de l’Etat, qu’il s’agisse de santé publique ou de moyens financiers (…) ça donne raison à tous ceux qui ont défendu l’Etat contre les attaques à répétition des libéraux. » [6] En outre, la crise économique et le taux de chômage qui grimpe pourraient amener les citoyens à se montrer plus favorables à la redistribution des richesses, ce qui devrait là aussi favoriser la gauche. Nathalie Giger nuance toutefois cette dernière affirmation, en rappelant que les attitudes de gauche ne se transforment pas automatiquement en un soutien élevé pour des partis de gauche. Elle ajoute qu’il « existe de nombreux autres facteurs importants, en dehors des attitudes envers la redistribution, qui déterminent le choix électoral. »

A droite toute ?

Si la question du social, au sens large, pourrait reprendre une place centrale en politique et favoriser la gauche, les partis challengers et notamment les populistes de droite pourraient eux aussi monter en puissance. Sur le plan économique d’abord, ces formations auraient l’avantage de profiter de l’affaiblissement des partis au pouvoir d’ici quelques mois, lorsque l’effet rally around the flag aura disparu. En effet, il a été observé que lorsqu’une crise économique durait trop longtemps, les partis au gouvernement étaient généralement tenus pour responsables de la situation, et dans de tels cas, les électeurs se tournent vers les partis populistes proposant des solutions alternatives à celles des partis établis [7]. Nathalie Giger relève toutefois que cela ne se fait pas immédiatement : « la crise peut donner un coup de pouce aux populistes, mais seulement après un certain temps, uniquement lorsque les autres options sont épuisées. » Il n’est pourtant pas certain qu’ils devront attendre longtemps pour gagner du soutien, car au-delà de la dimension économique, les effets psychologiques provoqués par la pandémie pourraient jouer en leur faveur. A titre d’exemple, une équipe de chercheurs affirment, sur la base de données récoltées aux Etats-Unis et en Pologne, que l’anxiété générée par la situation actuelle renforcerait le besoin de structure des individus et les amènerait, par conséquent, à développer des attitudes plus conservatrices [8]. Un autre effet émotionnel de la crise est soulevé dans une seconde étude, qui explique que les attitudes anti-étrangers pourraient également être accentuées par l’épidémie de Covid-19 [9]. Enfin, et il est important de le noter, le manque de coopération entre Etats, qui a parfois été dénoncé au début de l’épidémie, pourrait aussi mener les citoyens à favoriser un retour à la nation et aux frontières. Des valeurs conservatrices, une fermeture vis-à-vis de l’étranger et un retour à la nation, c’est tout ce que prônent les populistes de droite, et depuis bien longtemps déjà.

En conclusion ? De nombreux paramètres

Au-delà des considérations sociales, économiques et psychologiques, il faut garder à l’esprit que de nombreux autres facteurs pourraient influencer les électeurs lorsqu’ils se rendront aux urnes dans le monde post-Covid-19. Parmi ceux-ci, la réponse immédiate que les chefs d’Etat, gouvernements et partis ont apportée à la crise sanitaire. Donald Trump par exemple, que l’on peut considérer comme un dirigeant populiste et conservateur, a tardé à réagir à la situation lorsque l’épidémie s’est propagée aux Etats-Unis. Cela lui a valu des critiques virulentes et pour Nathalie Giger, « la crise ne facilitera certainement pas la réélection de M. Trump cet automne ». Ainsi, le fait d’être un populiste de droite ne fait pas de Trump le président idéal de ces prochaines années pour les Américains et de très nombreux paramètres doivent être pris en compte au moment de formuler des prédictions. Néanmoins, les différentes théories mobilisées dans cet article nous donnent une image un peu plus claire de ce qui pourrait nous attendre dans le monde d’après, qui, n’ayons pas peur de le dire encore, sera bien différent de celui d’avant.

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