Topo ouvre une nouvelle rubrique

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« Je ne me connaissais pas du tout, je n’avais aucune réalité propre à mon sujet, j’étais comme dans un état d’illusion continue, presque fluide, malléable ; les autres me connaissaient, chacun à leur manière, selon la réalité qu’ils m’avaient donnée ; c’est à dire que chacun voyait en moi un Moscarda que je n’étais pas, n’étant moi-même réellement personne pour moi ; il y avait tellement de Moscarda, et tous plus réels que moi que je n’avais pour moi, je le répète, aucune réalité. »[i]

Dès lors que vous portez les « lunettes genre », il vous sera difficile, voire impossible, de les retirer. C’est une phrase que l’on entend souvent lorsque l’on est introduit aux courants féministes et à la perspective de genre. C’est aussi une phrase que l’on répète lorsque, à notre tour, nous souhaitons faire surgir cette réalité dans la pensée des autres. Et pour cause.

Le féminisme semble connaître, ces dernières années, un fort intérêt de la part des médias et de la pop culture. Une fois sorti des cercles restreints universitaires ou militants, le féminisme se voit réapproprié, réinventé, utilisé pour diverses causes ; c’est justement parce que le féminisme se décline qu’il est tant usité. Ses interprétations sont multiples mais son fondement est fixe : penser un monde dans lequel les femmes et les hommes (les êtres humains) sont considérés de manière égale. Si le féminisme vous inspire un combat, il signifie aussi un positionnement théorique qui a pour méthode la perspective de genre. L’idée est simple : porter un regard sur le monde en analysant les rapports de pouvoir à travers ce fameux « prisme du genre ».

 

Le genre comme construction sociale

Il n’est pas inutile de rappeler la différence que l’on fait entre le sexe et le genre. Lorsque l’on parle du sexe, on se réfère en général au sexe biologique. On considère, de manière simplifiée, que celui-ci serait binaire : homme ou femme.

Cette vision tranchée de deux sexes est bien évidemment soumise à de nombreuses discussions, relatives par exemple à l’intersexualité (lorsque l’organe génital du nouveau-né est difficilement classable dans une des deux catégories).

Le genre, quant à lui, fait référence à une dimension sociale du sexe. Il peut se comprendre comme un outil d’identification : chaque individu-e peut se définir dans l’appartenance à un « genre » (qui n’est pas forcément le même que son sexe biologique : un individu né dans un corps d’homme peut s’identifier au « genre féminin »). À nouveau, les débats sont nombreux quant à la multiplicité du genre : féminin, masculin, neutre, queer et tant d’autres.

Cependant, le genre peut aussi être le reflet de stéréotypes subis par les individus en fonction de leur sexe. Par exemple, lorsque l’on entend que les femmes sont douces et maternelles alors que les hommes sont courageux et forts, on construit une image sociale et des attributs basés sur une réalité biologique (le fait que la femme puisse biologiquement avoir des enfants contrairement à l’homme).

Un autre apport puissant de la perspective de genre est sa volonté de dénaturalisation ou désessentialisation. Elle rejette l’idée qu’il existe une « nature féminine » ou, par effet miroir, un « comportement viril ». Elle rejette qu’une femme soit, par une essence (qui précéderait l’existence), vouée à un certain type de tâche ou de travail. La démarche prend une approche socio-historique pour démontrer comment, à travers la socialisation, l’éducation, l’économie, la division du travail, la symbolique et les discours, la société s’est structurée autour de différences socialement construites.

Poser son regard sur ce qui nous entoure en intégrant cette perspective permet d’ouvrir de nouvelles réflexions, de repenser ce que l’on croyait acquis : c’est une remise en cause globale et critique.

 

Élargir le regard : la question identitaire dans son ensemble

Cependant, le genre n’est pas le seul à structurer la société, le politique, les relations sociales. Ce constat m’amène à souligner la difficulté de généralisation de ce type d’approche. À l’instar des divergences qui vous différencient de votre meilleur-e ami-e, il serait dangereux de mettre tous nos œufs dans le même panier. Si l’on peut considérer les femmes comme un groupe social global (par exemple dans la tardivité de l’obtention du droit de vote, la relégation historique à l’espace privé ou encore le plafond de verre auquel elles font face), il est d’usage de délaisser les généralisations dès que l’analyse se précise.

On peut ajouter les notions de classe sociale, d’orientation sexuelle (bi, homo, hétéro-sexuel etc.), d’ethnie (ou « race », utilisé en tant que concept théorique dans les sciences sociales) ou encore d’appartenance religieuse. C’est par exemple le cas de l’approche intersectionnelle qui analyse cette « intersection » entre des caractéristiques sociales sources de discriminations. De là émergent aussi le Black feminism, ou le féminisme marxiste par exemple

C’est l’accumulation de ces concepts et attributs sociaux qui permettent un regard plus complet. On n’analyse plus uniquement l’histoire dans les rapports femmes-hommes. Ces caractéristiques se rencontrent et donnent lieu à des contextes bien plus complexes que s’ils étaient uniquement observés à travers une perspective de genre. L’intégration d’autres catégories structurantes rappelle ainsi que l’histoire n’a pas été la même pour toutes les femmes.

Dans le même état d’esprit, d’autres approches (post-colonial, queer, disability studies, par exemple) explorent l’histoire et le monde contemporain en déconstruisant les a priori, en remettant en cause la « norme ».

Le cœur de ce questionnement se situe dans la notion d’identité. La définition de soi tiraille : comment nous définissons-nous au sein d’une société donnée ? Stigmatisation, étiquetage, discrimination : avant même de pouvoir se définir, il semblerait que les autres le fassent. Si les stéréotypes fonctionnent et perdurent c’est parce qu’ils se résument en un mot ou une image. Il est essentiel de s’y attarder, de déconstruire, et de proposer cette démarche à tous.

 

L’engagement de Topo

C’est dans cet esprit que la rédaction de Topo décide ainsi, fin 2016, de proposer une nouvelle rubrique. Par la création de la catégorie « Genre et identités », nous reconnaissons l’importance du féminisme et des questions identitaires dans la création journalistique. Nous reconnaissons qu’une autre histoire est possible et qu’elle mérite d’être contée par d’autres regards. Nous sommes conscients du besoin de renouveler un mode de pensée stagnant en questionnant ce qui parfois dérange. Nous pensons enfin qu’il est essentiel de proposer une plateforme de réflexion, d’écriture et d’échange. Un journal universitaire a pour but d’atteindre l’entièreté des étudiant-e-s par les thématiques qu’il traite et la liberté d’expression qu’il permet. Au même titre que l’actualité, le terrain universitaire et les problématiques qui l’animent méritent ainsi d’être analysés à travers d’autres filtres qu’une simple description de faits.

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