L’esclavage du XXIème siècle

Avatar de Tristan Boursier

Ah, les Pouilles! Pour ceux qui à l’école préféraient les mathématiques à la géographie… c’est le talon de la botte italienne, où l’on est chez soi même si des kilomètres nous séparent de notre maison. C’est aussi là où les cinq sens se réveillent : la vue est comme enchantée par les feuilles argentées des oliviers, l’odorat enivré par l’air salin, l’ouïe a de la peine à se relâcher à cause des bavardages des vieux sur les balcons et des cris des enfants qui jouent au foot dans la rue, le toucher se réjouit de la pierre rocailleuse des bâtiments historiques des vieilles villes et le goût chante des histoires à la saveur de la Méditerranée. Là-bas, chaque ingrédient raconte son histoire qui, parfois, dépasse ce que l’on pourrait imaginer. Olives, raisins, tomates. Tous ont une voix, faible certes, mais qui chuchote un mot, peut-être inconnu à la plupart d’entre vous… “caporalato”.

Le caporalato est le recrutement illicite de la main-d’œuvre agricole. Les “caporaux” sont des médiateurs entre la main-d’oeuvre et les propriétaires des champs. Ils recrutent des gens habituellement dans les couches les plus pauvres de la population, principalement les immigrés (souvent sans-papiers) qui quittent leurs terres pour échapper à la guerre et se construire une nouvelle vie en Europe. Il y a aussi des Italiens qui vivent sous le seuil de pauvreté. Les caporaux, qu’ils soient italiens ou étrangers, profitent du besoin de travailler de ces personnes pour leur imposer des conditions de travail inhumaines.

La journée de travail commence à l’aube, lorsque les caporaux recrutent les travailleurs et les transportent vers les champs où ils travailleront sans cesse, exposés au soleil et ce jusqu’à la nuit. Moyennement, le salaire est de  €2,50/heure[1], ou €3,50 par caisse de 300kg de tomates[2]. Pendant leur courte pause de midi, les travailleurs sont obligés de payer aux caporaux €3,50 leur sandwich et €1,50 leur bouteille d’eau. En fin de journée, les caporaux exigent une taxe pour le transport qui s’élève à €5. Ils ramènent les travailleurs chez eux, dans des ghettos ou dans des taudis où il n’y a pas accès à l’eau, où il n’y a pas de toilettes, et qui, dans la plupart des cas, se trouvent dans des endroits isolés[3]. La paie journalière varie donc entre 25 et 30 euros. Cependant, plus d’un tiers finit entre les mains du caporal. Les travailleurs, dépourvus d’assurance sociale, travaillent au noir ou alors sans recevoir les cotisations sociales adéquates[4]. Aujourd’hui, selon un rapport publié en 2016 par la Confédération générale italienne du travail, ces exploités représentent 430.000 personnes[5].

Ce phénomène s’étend à l’ensemble de l’Italie, notamment au sud où se trouve la plupart des terrains agricoles. Au cours du XIXème siècle, cette pratique était considérée comme un moyen valide pour recruter des travailleurs. Aujourd’hui, elle est devenue un moyen de revenu facile pour les employeurs et les entreprises, car c’est une façon efficace pour faire face à la baisse des prix des produits agricoles. De plus, les flux migratoires provenant d’Afrique de ces dernières années ont encouragé cette pratique[6]. Les centres d’accueil pour les migrants et les quartiers les plus démunis, devenus des ghettos, sont les endroits idéaux pour le recrutement journalier.

À la suite de nombreux cas de décès et de protestations contre le caporalato, comme celle de Rosarno en janvier 2010 et, en particulier, la grève des travailleurs agricoles étrangères à Nardò en août 2011, la loi pénale contre le caporalato a enfin été approuvée. En outre, et ce récemment grâce aux médias, aux documentaires des gens engagés et aux réunions de sensibilisation dans les écoles, le mot caporalato est sorti de l’ombre et la population italienne a commencé à prendre conscience de ce problème massif dans la péninsule.

Fin 2015, un projet de loi[7] proposait que l’arrestation des caporaux, ainsi que la confiscation des produits, des outils de travail et de tous biens utilisés pour recruter les travailleurs soient obligatoires. De plus, il prévoit des sanctions  pour les entreprises impliquées et une compensation pécuniaire aux victimes, la création d’un réseau pour les entreprises légales (dont 1984 en font déjà partie[8]) et une meilleure protection de la sécurité et du bien-être des travailleurs agricoles saisonniers par l’État. Le 1 août 2016, grâce à la collaboration de plusieurs ministres, syndicats et associations d’entrepreneurs, cette proposition de loi a été approuvée par le Sénat. La Chambre de députés votera dessus dans trois jours, le 17 octobre de cette année[9]. L’Italie essaie peu à peu d’éradiquer ce fléau. Heureusement, la progression ne cesse d’augmenter, il faudra toutefois l’amélioration de la collaboration de la population et de l’Etat.

Tagged in :

Avatar de Tristan Boursier

Laisser un commentaire