Éclaircissements sur la révision de la loi sur l’asile

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Le 5 juin le peuple se prononcera sur la révision de la loi sur l’asile (LAsi) adoptée par l’Assemblée fédérale le 25 septembre 2015. Un référendum ayant été déposé par l’UDC en janvier 2016, la question à laquelle les votants devront répondre sera : acceptez-vous les modifications de la révision de la Loi sur l’asile? Cet article met en lumière les parts d’ombre du référendum afin de vraiment comprendre sur quoi le peuple se prononcera le 5 juin 2016.

Dans un climat d’euroscepticisme et de montée nationaliste, la crise migratoire et les enjeux liés au droit de l’asile sont au centre du débat public et juridique. Depuis 2012, les parlementaires suisses s’emploient à «restructurer» le droit de l’asile par le biais de trois paquets législatifs, dont deux sont déjà entrés en vigueur. Cet article se propose de les passer en revue.

Aperçu historique de la modification de la loi sur l’asile :

  • 14 décembre 2012 : le Parlement se met à la tâche et annonce la révision de la LAsi. Il s’agit du paquet législatif n°1 ; un durcissement conséquent du droit de l’asile impliquant notamment la restriction de la notion de réfugié et la limitation du regroupement familial des requérant-e-s[1].
  • 28 septembre 2012 : le Parlement adopte des mesures urgentes[1] qui entrent en vigueur pour un délai de trois ans. Il s’agit du paquet législatif n°3 (suppression des demandes d’asile dans les ambassades des pays d’origine et de la désertion comme motif d’asile, création de «centres spéciaux» pour requérants «récalcitrants»[1]).
  • 25 septembre 2015 : le Parlement modifie l’essence de ces « mesures urgentes » et vote leur insertion dans la loi sur l’asile. Elles deviennent ainsi de « vraies » dispositions, applicables sans restrictions temporelles.
  • 25 septembre 2015 : une nouvelle révision de la LAsi est adoptée par le Parlement. Il s’agit du paquet législatif n°2, comprenant notamment les dispositions concernant la prise en charge des requérant-e-s par la Confédération.
  • Octobre 2015 : un référendum est déposé par l’UDC contre les modifications adoptées par le Parlement dans la révision de la LAsi.
  • 5 juin 2016 : le peuple se prononcera sur la modification de la loi sur l’asile (paquets n° 2 et 3).

Déposé au début du mois d’octobre 2015 par l’UDC, le référendum rejette le projet parlementaire sur la base de deux arguments principaux. Premièrement, les dispositions relatives à la création de nouveaux centres de la Confédération car elles permettraient l’expropriation des Suisses et deuxièmement, la protection juridique gratuite pour les requérant-e-s qui serait un dépense superflue pour le pays.

La révision de la loi contient d’autres  modifications passées sous silence par le comité référendaire et méritant de plus amples informations[4]. Cet article se propose ainsi de mettre en lumière les parts d’ombre du référendum afin de vraiment comprendre sur quoi le peuple se prononcera le 5 juin 2016.

 

MODIFICATIONS DU DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE D’ASILE

Pionnière de la révision, Simonetta Sommaruga (Conseillère fédérale depuis 2010, PS) défend sa réforme et plaide « l’accélération des procédures grâce au regroupement de tous les acteurs dans de grands centres fédéraux »[5]. Comment se concrétise cette accélération et quels effets pour les requérant-e-s d’asile?

La réforme distingue trois nouvelles procédures : la procédure Dublin (pour les cas Dublin[6]), la procédure accélérée (pour les cas hors-Dublin), et la procédure étendue (pour les cas particuliers).

 

La procédure Dublin

Avec la réforme suggérée par le Parlement, la procédure des requérant-e-s d’asile arrivés irrégulièrement dans la zone Dublin sera régie par la nouvelle procédure Dublin. La procédure commencera par une phase préparatoire qui ne durera pas plus de dix jours, suite à quoi le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) enverra une demande de reprise en charge à l’État Dublin compétent[7]. Comme aujourd’hui, il n’y aura pas d’audition sur les motifs d’asile et en recevant sa décision, le/la requérant-e aura cinq jours ouvrables pour recourir. La principale différence pour les requérant-e-s a trait à l’hébergement : en attendant la réponse de l’État Dublin compétent, ils seront placés dans l’un des centres de la Confédération et y resteront jusqu’à ce que l’État Dublin compétent accepte leur reprise en charge.

Il est à noter que les cas Dublin représentent 40% des cas de demandes d’asile en Suisse[8].

 

La procédure accélérée

Pour les cas non Dublin, c’est la nouvelle procédure accélérée qui s’applique. Dès leur arrivée en Suisse, les requérant-e-s vont devoir se rendre dans l’un des centres de la Confédération et y déposer leur demande d’asile. Cela va entraîner l’ouverture de  la phase préparatoire: il s’agit de 21 jours (maximum) pendant lesquels on va enregistrer leurs données personnelles, établir leur itinéraire et mener des entretiens. 21 jours durant lesquels les requérant-e-s ne pourront pas quitter le centre. Une fois cette phase préparatoire achevée, la procédure de première instance, dite procédure accélérée s’enclenchera. Pendant 8 à 10 jours, les requérant-e-s seront interrogés sur les motifs de leur demande d’asile. À la fin de cette période, une décision leurs sera notifiée. Si elle est positive (admission provisoire ou octroi de l’asile), ils seront attribués à un canton. Si elle est négative, ils auront sept jours (et non plus trente comme actuellement) pour recourir contre la décision auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). Le TAF statuera alors sur le recours et rendra sa décision dans un délai de 20 jours[9]. Les requérant-e-s ne seront pas autorisés à quitter le centre tout au long de la procédure.

 

Procédure étendue

S’il ressort, lors de l’audition sur les motifs d’asile, qu’une décision ne peut être rendue dans le délai prévu par la procédure accélérée, notamment parce que des « mesures d’instructions supplémentaires » doivent être engagées, le traitement de la demande se poursuit dans la procédure étendue. La personne concernée sera alors attribuée à un canton et les délais de la procédure accélérée ne s’appliqueront pas. Par «mesure d’instruction supplémentaire», le projet donne l’exemple du besoin de fournir des documents se trouvant encore dans le pays d’origine (passeport, livret de famille etc.)[10]. Le Haut commissariat des réfugiés de l’ONU (HCR) recommande que les groupes de personnes particulièrement vulnérables, comme les personnes souffrant de graves problèmes psychiques ou de traumatismes, les mineurs non accompagnés, les personnes âgées ou les victimes de traite d’êtres humains soient expressément exclus de la procédure accélérée. Rien n’est pour l’instant précisé dans la loi.

 

CRÉATION DE NOUVEAUX CENTRES PAR LA CONFÉDÉRATION POUR L’ACCUEIL DES REQUÉRANT-E-S

 La loi prévoit la création de Centres fédéraux afin de réunir sous un même toit les requérant-e-s et tous les services tenant un rôle dans la procédure, à savoir la représentation juridique, les interprètes, les médecins, la police, l’aide au retour et les autorités. Ces centres devenant fédéraux, le nombre de places d’hébergement à la charge des cantons est réduit. Ces derniers seront responsables uniquement des requérant-e-s dont la demande entre dans le cadre d’une procédure étendue, ou ceux dont la demande d’asile a été refusée mais dont le retour est compromis[11].

Actuellement la Confédération dispose de quelques 1400 places d’hébergement dans cinq Centres d’enregistrement et de procédure (CEP). Avec la révision, les experts ont montré que 3600 places supplémentaires devront être créées dans les centres fédéraux afin d’absorber les restructurations engendrées par la modification de la Loi sur l’asile[12].

Afin de permettre la construction de nouveaux centres, ou de transformer des bâtiments existants en centres fédéraux, la loi prévoit une modification de la procédure d’approbation des plans. Ces constructions et transformations pourront alors être mises en œuvre sans autorisation cantonale ou communale[13]. Le fait que la  seule autorité compétente soit la Confédération vise à simplifier les procédures de permis de construire afin d’accélérer ces processus et permettre la mise en place de la politique d’asile prévue par la loi.

Le référendum de l’UDC met ce point en évidence et dénonce « des expropriations par l’État de particuliers et de communes pour permettre la construction de nouveaux centres d’asile [ce qui] constitue un procédé indigne d’une démocratie directe comme celle de la Suisse »[14]. De plus, le comité référendaire juge que l’accélération des procédures accroitra l’attractivité de la Suisse comme pays de destination pour les migrants. Enfin, les opposants affirment une forte augmentation des coûts financiers, dus à la fois à la création des centres fédéraux et à la mise à disposition des conseils juridiques gratuits pour les requérant-e-s. Le Conseil fédéral conteste ces informations dans son communiqué, affirmant qu’après une augmentation des coûts préalable durant la phase initiale, « la mise en œuvre de la restructuration proposée dans le domaine de l’asile doit permettre, à long terme, de réaliser des économies ».[15]

En plus d’une accélération des procédures, la loi prévoit d’introduire de nouvelles mesures quant aux conditions d’accueil des requérant-e-s dans les centres fédéraux. Le nouvel alinéa 2 de l’article 80 de la LAsi prévoit que « les enfants qui séjournent dans des centres de la Confédération ont droit à un enseignement de base suffisant et gratuit et sont soumis à la scolarité obligatoire »[16]. De plus, la possibilité de participer à des programmes d’occupation est donnée aux requérant-e-s. L’interdiction de travailler aujourd’hui en vigueur subsiste, mais ces programmes permettront aux requérant-e-s de pouvoir entreprendre des activités dans l’attente d’une décision des autorités.

Finalement, les demandeurs d’asile faisant l’objet d’une procédure accélérée ou d’une procédure Dublin auront désormais droit à un conseil concernant la procédure d’asile et à une représentation juridique gratuits (102f – 102m P-LAsi). Pendant la procédure d’asile, le conseiller et le représentant pourront informer les requérant-e-s sur la procédure, prendre part au premier entretien ainsi qu’à l’audition, prendre position sur un projet de décision d’asile négative et, au besoin, déposer un recours contre une décision du SEM. Le représentant attribué pourra décider de ne pas recourir à une décision négative s’il la juge dévouée de chance de succès[17]. L’UDC pointe du doigt cette nouveauté de la réforme en refusant des «avocats gratuits pour tous»[18] et dénonce une dépense trop importante pour la Confédération ainsi qu’une injustice par rapport aux citoyens suisses. Soutenue par de nombreuses associations d’aide aux réfugiés et par le HCR[19], cette nouveauté représente une garantie de l’égalité devant la loi pour les requérant-e-s ainsi que l’équité, la transparence et l’efficience de la procédure d’asile.

Une phase « test » a été mis en place dans un centre pilote à Zurich depuis janvier 2014, dans le but de tester les applications de la révision de la loi. Il en ressort que la qualité des décisions juridiques et des recours a été améliorée, ainsi que la rapidité des procédures[20]. En revanche, une forte augmentation du nombre de requérant-e-s ayant « disparu » au cours de la procédure (de 9.9% à 32.4%) est relevée par les experts[21]. Cela pourrait s’expliquer par un recul face aux démarches administratives et à la possibilité du refus d’octroi de l’asile (plus rapide et effective). Ces personnes ayant abandonné la procédure se retrouvent alors dans une situation de séjour irrégulier.


CONCLUSION

Lors de la Conférence nationale sur l’asile du 21 janvier 2013, les cantons, les communes et les villes ont approuvé les lignes directrices de la révision de la loi sur l’asile[22]. Amnesty International[23], le Conseil fédéral et le Parlement, ainsi que des organisations membres de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR)[24] ont également affirmé leur soutien à la révision de la loi, et ce malgré le durcissement général induit par l’acceptation du paquet législatif n°1. Aujourd’hui, d’autres organismes comme le Centre social protestant (CSP), Vivre Ensemble, Stop Exclusion, et le Comité pour la sauvegarde du droit d’asile s’en distancent ou recommandent le vote blanc[25]. Au vu de l’indécision générale régnante, voici quelques points à garder en tête avant de mettre votre bulletin dans l’urne.

 

Voter oui le 5 juin 2016

En votant oui le 5 juin, vous acceptez la révision de la loi sur l’asile et refusez le référendum. Conséquences ? Les modifications développées ci-dessus seront maintenues.

  • L’accélération des procédures permettra aux requérant-e-s, qui remplissent les conditions, d’avoir un accès plus rapide aux droits qui leur sont garantis dans la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés[26].
  • Lors de la procédure dans les centres, les requérant-e-s pourront scolariser leurs enfants dans le canton et bénéficieront de programmes d’occupation.
  • L’assistance juridique mise à leur disposition permettra aux nouveaux arrivants, peu familiers avec le système du droit de l’asile suisse ou les langues officielles, de comprendre et de se préparer à la procédure d’asile.
  • Les mesures urgentes entreront en vigueur : suppression définitive de la procédure d’asile dans les ambassades, exclusion de la reconnaissance de la qualité de réfugié aux objecteurs de conscience et réfractaires, et introduction des centres spéciaux pour requérants « récalcitrants ».

 

Voter non le 5 juin 2016

En votant non le 5 juin, vous refusez les modifications apportées à la loi sur l’asile par le Parlement le 25 septembre 2015 et acceptez le référendum. Et donc :

  • La demande d’asile des requérant-e-s continuera d’être régie par la procédure ordinaire actuelle. Il n’y aura pas d’accélération des procédures.
  • Les mesures urgentes resteront en vigueur jusqu’en septembre 2019 mais ne seront pas introduites en tant que dispositions légales de la LAsi en juin 2016.
  • Les demandeurs d’asile ne seront pas cloisonnés dans des centres et auront la possibilité de s’intégrer à la population du canton auquel ils auront été attribués.
  • Les requérant-e-s résidants dans des centres éloignés des villes n’auront pas accès aux prestations mises à disposition par les associations spécialisées qui sont largement plus présentes dans les zones urbaines.
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