Esclaves sexuels de Daech : une activiste yézidie témoigne

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Depuis juillet 2014, des milliers de Yézidis sont otages de l’autoproclamé État islamique dans le Sinjar irakien. Nareen Shammo, activiste yézidie de 29 ans, s’emploie depuis deux ans à délivrer les captifs. Lors de la 14ème édition du FIFDH à Genève, elle raconte les dessous de cette descente aux enfers : l’esclavagisme sexuel des femmes. 

L’abîme s’ouvre le 3 août 2014. Sinjar, ville du nord de l’Iraq et berceau de l’ethnie yézidie, alors sous protection des soldats kurdes, est envahie par Daech (1). Ce matin-là, les armes ne font pas feu. Les 12’000 peshmergas de garde aux check-points de l’entrée de la ville sont absents. Quand on lui demande pourquoi, Nareen Shammo serre les mâchoires, ses yeux sont noirs : « C’est une excellente question. Et j’ai vraiment besoin de la réponse. Comprendre pourquoi ils nous ont abandonnés aux mains de Daech. »

Désormais sous contrôle du groupe extrémiste, la conversion à l’islam ou la mort est le choix laissé aux milliers de survivants qui n’ont pas pu s’enfuir. Un des plus anciens peuple du Moyen-Orient, les Yézidis, ont leur propre religion et ont, au cours de l’histoire, subi de nombreuses vagues d’hostilités de la part de l’islam radical (2). Mais aujourd’hui, la persécution est pire et Nareen Shammo a le cœur lourd lorsqu’elle en parle. Elle choisit de raconter les parcours de trois femmes qu’elle a secourues pour illustrer l’enfer de toutes les autres, esclaves sexuels du groupe extrémiste.

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Nareen Shammo lors du débat « esclavage sexuel : une institution théologique » le 8 mars 2016 au FIFDH. ©Miguel Bueno.

Il n’y a pas de critères pour choisir quelles femmes seront enlevées souligne Nareen. Aziza avait 13 ans lorsqu’elle et 197 autres filles ont été capturées. « Ils leur amènent du shampoing et du maquillage. Ils leur disent de se préparer et de se faire belles car elle seront présentées aux membres de l’État islamique.» Raqqa est devenue la capitale de ce commerce. Chaque semaine on y exhibe les photos des femmes yézidies disparues et le numéro de téléphone du soldat qui les possède. Les enchères grimpent au « slave Yazidi market day » et des sites web, dont Twitter, permettent la location de Yézidies. Mahbeth avait 17 ans lorsqu’elle a été gagnée comme premier prix par trois soldats, alors ex-aequo, dans le concours de « meilleure lecture du Coran ».

Une fois aux mains de leurs ravisseurs, les femmes sont considérées comme des moulk : un statut soulignant l’entière possession des femmes, alors considérées comme des biens de propriété. Nareen se souvient de l’une d’elles, âgée de 62 ans, violée à maintes reprises, aujourd’hui libre : « Que voulez-vous de moi ? Ma peau est ridée, mon mari est mort, je suis vieille. » A quoi ils répondaient : « Silence moulk, tu nous appartiens, nous faisons ce qu’il nous plait de ton vieux corps. »

« Ces déclarations officielles, encourageant les abus sexuels vis à vis des « non-croyantes » (selon la doctrine théologique de l’EI), sont un atout majeur de la politique de recrutement de Daech », soupire Nareen. Mais c’est aussi un outil crucial de son combat. Depuis deux ans, la jeune activiste s’emploie jour et nuit à sauver ces femmes. Le contact s’établit par téléphone et au fil des informations échangées, une opération de secours s’organise, souvent au péril de leurs vies. Quand on lui demande d’évaluer le degré de danger pour elle, en tant que femme yézidie s’interposant à l’EI, Nareen répond : « Vous savez, quand vous voyez les vôtres mourir sous vos yeux, quand vous découvrez vos filles et vos sœurs vendues, quand vous entendez vos mères pleurer toute la journée, à ce moment, vous ne pensez plus à vous. Vous oubliez tout le reste. »

Grâce au courage de Nareen et d’autres activistes sur le terrain, des centaines de Yézidies ont aujourd’hui été sauvées. Toutefois la jeune femme est inquiète : « Celles qui ont pu s’échapper sont libres, mais leur âme est toujours captive. » Elle explique le défi que consiste leur réinsertion. Traumatisées physiquement et psychiquement, ces femmes ont besoin de traitements médicaux et de suivis psychologiques. Mais dans l’Iraq en guerre, les ressources sont maigres. C’est pourquoi Nareen parcourt aujourd’hui l’Occident à la recherche de soutiens humanitaires, tant financiers que politiques. Sur place, YAZDA (Yazda A Global Yazidi Organisation) documente, témoigne, proteste et soutient les victimes. À l’ordre du jour de l’association ? Sauver les 5000 captives restantes et saisir la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité. Nareen conclut par ces mots : « Si les gens veulent nous aider, c’est par le biais de YAZDA que nous y parviendrons. »

 

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