Rencontre avec l’association des étudiants pour l’altruisme efficace

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  1.  L’Association des étudiants pour l’altruisme efficace est une jeune association à l’Unige. Quels sont ses buts au sein de la communauté étudiante ?

Nous avons tout d’abord créé l’ONG Effective Altruism Geneva puis avons eu le projet de lancer l’AEAE pour se raccorder à l’université. L’association cherche à diffuser une nouvelle forme d’humanisme évolutif, un nouveau mode de pensée et d’action. Nous voulons motiver tout le monde à l’université à aller un peu plus loin lorsqu’ils cherchent à améliorer le monde. Car, oui, cela est possible mais quelques réflexions s’imposent. En premier lieu, se demander ce qu’est « le bien », puis « pourquoi est-ce que je veux le faire ? » et enfin « comment est-ce que j’aurais le plus grand impact positif possible avec mes ressources limitées ? ».

Pour traiter de cela, nous invitons des conférenciers, menons des workshops sur les choix de carrière ou nos biais psychologiques, recherchons des fonds pour les organisations de charité les plus efficaces, organisons des événements de discussion, planifions de faire de la recherche et mettons sur pied un cours à l’université sur les questions éthiques et d’obligation morale qui tournent autour de l’action humanitaire. Enfin, nous avons encore pleins de projets en tête pour créer une communauté genevoise d’altruistes qui ne se contentent pas des premiers propos venus. Notre démarche s’inscrit dans une méthode interdisciplinaire qui cherchera sans cesse à relier les sciences entre elles et, donc, les étudiants entre eux.

  1. Il y a des groupes d’altruistes efficaces déjà à Paris et à Bâle. Pourquoi avez-vous décidé de créer une branche de Effective Altruism à Genève ?

Pour en présenter un peu mieux le contexte : Paris est un groupe mené par deux étudiants en ce moment alors que Bâle est le hub d’EA sur l’Europe continentale, il s’y trouve plusieurs douzaines d’EAs dont certains ont créé une fondation appelée désormais Effective Altruism Foundation. Ainsi, nous parlons d’un groupe très professionnel et un autre beaucoup moins développé que le nôtre.

Genève a beaucoup de ressources : politiques, financières et humaines. De plus, la ville est déjà active dans les enjeux de pauvreté globale et de développement. Ainsi, on pense que Genève pourrait centrer le débat dans la sphère internationale qu’elle a développée grâce à son nombre d’institutions influentes. Malheureusement, le niveau méta que promeut notre philosophie est encore peu présent ici. Ainsi, cela nous permet d’entrer en jeu par la diffusion des idées, des outils et spécialement des questions cruciales. Ces éléments nous paraissaient tellement importants que la décision était claire : nous devons implanter nos idées dans la ville comme à l’université pour développer une prise de conscience générale des professionnels comme des jeunes en formation.

  1. L’AEAE s’inscrit dans une philosophie de l’altruisme efficace, qu’est-ce que cela signifie en quelques mots ?

Il s’agit de la volonté d’avoir le plus grand impact positif possible avec les ressources que nous avons à disposition. La philosophie s’appuie sur trois principes fondateurs. Premièrement, la compassion, la volonté de faire le bien, d’aider les autres. Deuxièmement, l’ouverture d’esprit dans le but de considérer toutes les approches possibles, existantes ou non. Et troisièmement, l’esprit critique, qui a pour but de déterminer lesquelles ont le plus de sens et méritent d’être soutenues. En effet, il existe des millions d’ONGs et tout autant de causes sur lesquelles œuvrer. La philosophie Effective Altruism mène un travail au niveau méta, c’est-à-dire faire le tri et dégager les priorités sur lesquelles se concentrer. Pour analyser les causes, nous utilisons une prise de décision basée sur les faits et les sciences. De plus, les priorités dégagées de notre travail répondent au fait que ce sont des causes négligées, qui touchent une large population et qu’on arriverait à éradiquer facilement. Les priorités en ce moment sont la lutte contre la malaria, la souffrance animale et les risques existentiels tels que le développement non-éthique de l’intelligence artificielle.

  1. Parfois, l’altruisme efficace peut impliquer de prendre des décisions contre-intuitives par rapport à nos valeurs morales de justice. Par exemple, on pourrait accepter le creusement des inégalités économiques afin de produire plus de richesses qui seraient ensuite redistribuées aux plus pauvres par des dons. Comment vous inscrivez-vous par rapport à cette approche de l’altruisme efficace ? De manière générale quelle est votre ligne philosophique par rapport aux différentes interprétations de l’altruisme efficace ?

On ne pourrait très probablement pas accepter des creusements d’inégalités dans le but de soulever plus de dons envers les gens en pauvreté extrême à cause des effets très difficiles à prévoir. Cette idée utilitariste radicale et purement théorique fait face à trop de variables inconnues dans la vraie vie et est donc très difficile à pratiquer. Toutefois, ce genre d’expérience de pensée nous aide à clarifier nos idées et positions éthiques et montre ainsi ce qu’on devrait faire – mais souvent il y a trop de risques et dangers pour le réaliser tout de suite. C’est pourquoi l’altruisme efficace est lui-même une philosophie assez agile parce qu’il s’agit d’un niveau méta pour apprendre à prioriser nos actions en accord avec nos valeurs morales ou, plus en amont et très souvent, clarifier nos impératifs moraux.

Nous soutenons alors tout simplement l’idée de vouloir réduire la souffrance le plus possible en se basant sur les évidences scientifiques et la logique. Et pour y arriver, il nous faut encore beaucoup de recherche, beaucoup d’expériences et beaucoup d’avancements techniques.

  1. Vous dites « The world has a lot of horrible problems but we can’t work on all of them at once. Our goal is to accomplish the most good with our limited time, energy, and resources. » Quels sont les critères qui permettent de choisir les problèmes qui seront traités en priorité ?

Pour évaluer notre impact potentiel on se demande toujours trois choses :

  • Est-ce que notre contribution va vraiment avoir une pertinence cruciale ou est-ce qu’il y a déjà tellement de personnes investies que notre travail sera plutôt marginal ?
  • Combien d’individus sont affectés et dans quelle dimension est leur souffrance ? Pour pouvoir comparer ceci, il existe une échelle de Quality Adjusted Life Years (QALYs) avec lesquels on essaie de qualifier et quantifier la souffrance de la meilleure façon possible – nous espérons trouver d’autres moyens dans l’avenir mais c’est le mieux qu’on puisse faire actuellement.
  • Comment est-ce que nous pourrions vérifier notre impact, est-il facile de faire des expériences dans le champ ou est-ce que le coût d’investissement est très élevé ?
  1. Si vous deviez dire en trois mots ce que vous a apporté votre implication dans l’association, quels seraient-ils ?
  • Clarté (Je sais quoi faire avec ma vie/carrière maintenant)
  • Bonheur (Je suis entouré par des gens très intéressants et divers)
  • Croissance (Je suis constamment en train d’étendre mes connaissances)
  1. Quels sont les projets déjà réalisés par la Fondation pour l’altruisme efficace située à Bâle ? Quels sont les projets à venir de l’AEAE ?

La fondation à Bâle a déjà initié plusieurs projets qui ont un grand succès :

– Ils ont fondé Raising for Effective Giving, un projet qui réussit à convaincre les professionnels de métiers rationnels (par ex. Trading, Poker, Gaming) à donner une partie de leur revenu et les raisons pour lesquelles la donner aux organisation évaluées comme efficaces. Leur ratio de « funding » à « dons récoltés », de 1 : 10, veut dire qu’ils sont un multiplicateur essentiel dans la recherche de fonds pour les causes les plus urgentes de nos jours.

– Le projet Sentience Politics pose les questions éthiques relatives aux animaux. Ils ont réussi à lancer plusieurs initiatives populaires, notamment pour augmenter les choix vegan dans les cantines et cafétérias publiques. Leur manière d’approcher le sujet semble parler aussi aux politiciens – ils reçoivent ainsi de plus en plus de soutien aussi des rangs politiques.

    – Le Foundational Research Institute est aussi une de leurs créations – une petite équipe de chercheurs qui se concentre sur les plus grandes thématiques éthiques, notamment la conscience et la souffrance.

Nous, ici sur Genève, allons contribuer au mouvement d’une manière plus complémentaire :

– Nous voulons susciter un intérêt pour ces idées dans le but d’avoir un plus grand nombre de retours, d’opinions et de critiques sur le sujet afin de sans cesse peaufiner la philosophie. Par cela nous entendons « movement building » qui est caractérisé par des meet-up hebdomadaires, des conférences, des workshops, des groupes de projets de recherche, etc. afin de discuter, partager et ajouter une plus-value aux idées de base.

– La récolte de fonds pourrait devenir un grand élément aussi – les interventions les plus efficaces manquent encore d’argent pour finir leur travail et il n’y a pas suffisamment de gens qui le savent ni qu’il est possible de faire croître notre impact.

– Sur un très long terme, nous imaginons mettre en place un groupe « junior consulting » pour les organisations internationales basées à Genève – comment mieux évaluer notre travail ? Comment agrandir l’impact que nos ressources limitées auront ? Des questions que de nombreuses organisations ne se posent pas assez.

  1. Qui sont-ils ? Un commentaire ?

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Ce sont deux personnages assez bien connus sur l’échelle internationale, qui soutiennent et contribuent activement au mouvement et même à la philosophie elle-même :

  • Peter Singer (à gauche) est un philosophe australien, professeur à Princeton et un des grands contributeurs à l’idée d’un altruisme efficace. Il a écrit The Most Good You Can Do, entre autres, et plaide depuis longtemps pour une société moins spéciste.
  • Jaan Tallinn est le fondateur de Skype et un grand donateur de certaines organisations émergées du mouvement, notamment pour celles qui s’occupent de la recherche dans la prévention des risques existentiels.
  1. Vous dites vouloir créer à Genève « A community devoted to doing the most good, that creates a new awareness of how to donate and how to plan our careers, and serves as the basis for further spreading the researched knowledge on how to act more effectively in general ». Concrètement, à quoi doit s’attendre un étudiant de Genève qui rejoint l’AEAE ?

En premier lieu, nous sommes une équipe très ouverte d’esprit, critique et motivée à s’améliorer constamment, ce qui signifie se remettre en question pratiquement tous les jours. De plus, le fait de pouvoir discuter nos avis d’une manière super ouverte sans être jugé par les autres est un aspect très important de notre fonctionnement. Rejoindre l’AEAE est aussi l’accès privilégié à certains savoirs en habitudes quotidiennes morales et éthiques. Enfin, être actif à l’AEAE, c’est aussi contribuer à l’ONG Effective Altruism Geneva, ce qui demande rigueur mais représente aussi un beau défi pour les étudiants.

  1. Quelles sont les trois raisons de rejoindre l’AEAE lorsqu’on est étudiant à l’Unige ?

– Un réseau international de gens qui sont sérieusement inquiets pour ce monde

– Un groupe local qui va sans doute changer certains aspects de ta vie (pour le meilleur, espérons-le)

– Une expérience hors norme des associations universitaires avec une perspective qui va au-delà de nos études

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