Droits humains vs. Démocratie, le débat inquiétant de l’UDC avec son initiative « le droit suisse au lieu des juges étrangers »

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Notre démocratie donne, bien heureusement, le droit à tout et à chacun de se réjouir ou de s’inquiéter de la progression lors des dernières élections fédérales. Toutefois, l’initiative « le droit suisse au lieu des juges étrangers (pour l’autodétermination) » portée part le plus grand parti de Suisse devrait être une source d’inquiétude pour tous les citoyens de ce pays. Cette fois-ci, ce ne sont pas les musulmans, les étrangers criminels, les immigrés, les demandeurs d’asile, ou quelques autres moutons noirs qui sont visés par ce texte. Ce sont les droits les plus fondamentaux de tous les habitants de ce pays qui sont potentiellement en danger avec cette initiative. Passé sous silence pendant cette campagne, ce texte constitutionnel a pour but, selon les initiants, de « conserver une démocratie directe unique au monde[1] » en plaçant ainsi le droit suisse et la volonté du peuple au-dessus du droit international, sauf le droit international impératif ou jus cogens[2]. « Le droit suisse doit être formulé sur une base démocratique, donc par le peuple et les cantons ou par le parlement et non pas par des fonctionnaires et des juges d’organisations internationales et de tribunaux étrangers », lit-on sur le site internet de l’UDC[3]. Et encore : « La Suisse protège de manière autonome les droits de l’homme et les droits fondamentaux[4]. » Concrètement, dans les cas où le droit suisse serait en contradiction avec le droit international, comme dans le cas de l’initiative pour le renvoi des criminels étrangers, de l’initiative contre l’immigration de masse et de l’initiative pour l’internement à vie, la Suisse se verrait obliger de dénoncer des traités internationaux tels que la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

 

Quel est le danger du discours de l’UDC selon lequel le peuple aurait toujours raison ? La démocratie devrait-elle pouvoir remettre en cause la protection de nos droits fondamentaux par la communauté internationale ? La Suisse peut-elle garantir de manière autonome les droits fondamentaux ?

 

Bien qu’il soit vrai que notre système démocratique, cet héritage helvétique valeureux, permette au peuple de décider, la majorité populaire n’a pas pour autant toujours raison dans ses choix. Même le peuple a besoin de garde-fous. En plus de la démocratie directe, notre héritage politique et culturel s’est également construit sur ces garde-fous, tels que la protection des minorités garantie par le bicaméralisme parlementaire, le fédéralisme ou bien la double majorité requise lors de certaines votations populaires (initiatives populaires et référendums obligatoires). Les droits fondamentaux représentent également des garde-fous à notre système démocratique. Déjà dans la constitution de 1848, un certain nombre de droits fondamentaux tels que la liberté de presse, la liberté d’association ainsi que l’interdiction de la peine de mort pour les délits politiques étaient garanties. La ratification de la CEDH par la Suisse en 1974 est un prolongement de la volonté de notre pays de garantir des droits humains à toutes et tous : il permet à tout habitant de la Suisse de faire recours à la Cour européenne des droits de l’homme si elle/il estime que ses droits, inscrits dans la Convention, ont été violés par son Etat.

 

Avec son initiative, l’UDC remet en cause le consensus qui s’est construit entre membres de la communauté internationale au sortir des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, qui a donné lieu à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 et la Convention européenne des droits de l’homme en 1950: le droit international doit protéger les droits les plus fondamentaux des individus afin d’éviter toute impunité au niveau national ; nos droits humains ne sont pas uniquement garantis par notre Etat, mais par la communauté internationale. C’est cette protection, ce garde-fou contre les décisions de la majorité démocratique, que l’UDC remet dangereusement en question. Certes, cette initiative n’entend pas remettre en question les obligations du droit international impératif, mais qu’en est-il des autres droits humains ? Qu’en est-il de l’indivisibilité et interdépendance des droits humains garanties par la Déclaration universelle des droits de l’homme ?

 

Il est suggéré de prendre avec des pincettes le discours selon lequel le peuple a toujours le dernier mot et toujours raison. La dangerosité d’un tel discours réside dans la volonté d’opposer la démocratie au droit international des droits de l’homme et de placer le choix du peuple au-dessus de tout. L’histoire nous a montré les risques de cela et la peur de la « tyrannie de la majorité » nous a amené à concevoir des limites au pouvoir dans notre système démocratique, comme dans celui de tant d’autres pays démocratiques au monde. La souveraineté populaire a certes une grande place dans l’histoire politique suisse, comme aime le rappeler l’UDC. Or, la volonté d’éviter une tyrannie de la majorité et de préserver les droits de tous les individus des choix majoritaires, comme l’attestent de nombreuses autres institutions politiques qui ont déjà été mentionnées auparavant, sont aussi cardinaux à notre système politique. Finalement, bien que la Suisse ait été neutre pendant la Seconde Guerre mondiale, la volonté d’éviter toute répétition des événements de 1939-1945 et de garantir la protection internationale des droits humains par la CEDH ou d’autres pactes internationaux font aussi partie de notre héritage politique. N’oublions pas cet héritage-là !

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