La place de la femme chez Disney : de la femme de pouvoir menaçante à la protectrice bienveillante

Avatar de Tristan Boursier

La sortie de Maléfique, la dernière production de la Walt Disney Company, a été lancée en grande pompe. Cette sortie nous donne l’occasion de nous interroger sur une question qui est beaucoup plus importante qu’elle n’y paraît : la place de la femme dans les films Disney. Les propos d’Angelina Jolie (incarnant le rôle de Maléfique) nous poussent à nous demander si Disney est moins traditionnel dans sa manière de voir le genre et leurs attachements par rapport aux sexes : 

« We wanted to tell a story about the strength of women and the things they feel between one another. Our movie has all this strength and all this feminism, but, what I think is so nice is that, sometimes, in order to do that you have to make the man an idiot. Instead, we have this very elegant, wonderfully handsome, prince who, in the end, is great. He doesn’t need to be less than to make us more than. We don’t have to simplify or cheapen the men, or to detract from one to make the other better. I think that’s a mistake that’s often made in movies. » (Jolie, Buzzfeed, 31 mai 2014)

Ce qu’Angelina Jolie dit semble nouveau. Il y a encore quelques années, il semblait inimaginable pour Disney d’évoquer la thématique du genre directement. La promotion de Maléfique fait mieux apparaitre quelque chose de déjà bien présent dans les films Disney : leurs messages politiques. Par messages politiques, il s’agit ici de parler des rapports de pouvoir qui s’expriment entre les sexes à travers les représentations genrées des productions Disney. Apprendre à un petit garçon qu’il doit rechercher un « achievement » dans sa vie et que les femmes qu’il rencontrera seront « émotives et parleront un peu trop » – comme c’est le cas dans beaucoup de dessins animés (Signorielli et Bacue, 1999, 323) – n’a pas les mêmes conséquences dans une démocratie qu’un message d’égalité entre les sexes. La manière dont on considère le genre influencera notre perception de la citoyenneté et des enjeux qui seront acceptables ou non d’en discuter.

Le personnage de Maléfique dans La Belle au bois dormant est avant tout une femme de pouvoir : elle est reine d’un royaume parallèle et possède des pouvoirs magiques puissants. Une sorte d’icône sexuelle de par ses attributs féminins (ses caractéristiques physiques sont étonnamment proches de celles de la princesse Aurore : lèvres pulpeuses, taille fine, gestuelle ample et longs cils), jalouse du Prince charmant qui, lui, préfère embrasser les jeunes princesses mineures durant leur sommeil (Aurore a 16 ans alors que le prince a au moins 25 ans). Dans La Belle au bois dormant, Maléfique est décrite comme le sont les femmes chez Disney lorsqu’elles ont du pouvoir : une menace pour les hommes. Pour faire simple, elles jouent souvent le rôle d’opposant face aux héros et héroïnes. Par exemple, la Belle mère de cendrillon, Ursula dans la petite sirène ou encore la reine sorcière dans Blanche neige sont les rares femmes ayant une autonomie propre et une certaine force d’indépendance. Malheureusement, elles occupent toutes le rôle de méchante. En revanche, en 2014, Maléfique n’est plus perçue comme une menace mais comme un personnage bienveillant malgré sa force. On peut donc voir une évolution de la perception de la femme chez Disney.

Un pouvoir bienveillant 

Maléfique possède un grand pouvoir qu’elle semble n’utiliser qu’en dernier recours et en réponse à la violence masculine. Dès le début du film on voit l’étendue de ses pouvoirs : elle guérit  la nature, protège la Land (royaume naturel peupléd’êtres féeriques) et garantit son« harmonie naturelle ». Lorsque, pour la première fois dans le film, elle rencontre un homme, elle le surprend àvoler une pierre précieuse dans la Land. Sa réaction est ferme mais non violente : elle reprend la pierre et la relâche mais ne punit pas l’humain. Au contraire elle parle avec lui pour le comprendre. Le patriarcat est quant àlui ridiculisédans cette scène : le petit garçon qui vole la pierre (Stephen) s’exclame naïvement, « tu n’es qu’une fille ». La violence de Maléfique sera toujours vue comme de la légitime défense contre les attaques des hommes.

Un « rape and revenge » ?

Àl’origine de la violence de Maléfique on trouve un viol symbolique par Stephen. Stephen et Maléfique ont développéune relation très proche qui se transforme en amour. Stephen, présentécomme un homme « avide de pouvoir », va projeter de tuer Maléfique afin de devenir roi. Néanmoins, il n’arrive pas àla tuer, et va lui couper ses ailes comme gage du meurtre. Cette scène est clef dans le film, car elle est présentée comme l’origine de la colère et de la violence de Maléfique : l’amputation des ailes est interprétable comme un viol puisque Maléfique est endormie (droguée) et se rend compte de se qui s’est passéqu’àson réveil. Elle est d’abord attristée, puis honteuse (sa posture est fœtale), ses cris sont déchirants (la voix est cassée et discontinue) et la caméra la filme en travelling ascendant de dessus, ce qui appuie sur le sentiment d’impuissance. Dès lors, Maléfique change et veut se venger en recouvrant les attributs de la version de 1959 : sceptre, trône et serviteurs. Une vengeance qui est présentée comme légitime par le scénario : Maléfique devient violente uniquement parce qu’elle cherche àse venger des hommes qui l’ont trahie.

Une relation moins superficielle entre deux personnages féminins 

Malgrécette force importante, Maléfique fait preuve de tendresse et de compassion en développant une véritable relation de complicitéavec Aurore. Maléfique passe ainsi rapidement du statut de vengeresse àcelui d’alliée pour Aurore. Même si la malédiction que subit Aurore est due àla colère de Maléfique, cet acte est justifiédans le film comme une vengeance face àla violence du roi Stephen. Maléfique regrette son geste. Dès l’instant oùelle jette son sort, elle manifeste de la compassion : le roi la supplie et Maléfique va en réponse atténuer son sort en ajoutant la possibilitéde la sortir du sommeil par un « baiser d’amour sincère ». Par la suite, Maléfique va protéger et aider Aurore àgrandir car les « bonnes fées »se révèlent rapidement incapables de s’occuper d’elle. Disney arrive donc àdétacher l’attitude maternelle de la perception sociale de la femme : il ne suffit pas d’être une femme pour savoir s’occuper d’un enfant, puisque les fées n’y arrivent pas.

Le retour des vieilles habitudes … 

Dans la version de 2014, il y a donc des progrès. Néanmoins, comme souvent chez Disney, ce pas en avant est compensé par des retours aux vieilles habitudes conservatrices. En effet, cette nouvelle version a, sous ses intentions progressistes, un ancrage naturaliste loin d’être moderne.

Une dichotomie entre une nature féminine et une culture masculine est bien présente. D’un côté, tous les hommes du film sont associés à une culture présentée comme déliquescente car rongée par l’ambition. De l’autre côté se trouve le royaume de la Land gouverné par Maléfique où seule « l’harmonie naturelle » règne. À travers cette dichotomie, la nature semble être un attrait des femmes qui sont les personnages les plus en contact avec elle : Maléfique comprend les animaux de la Land, la princesse Aurore parle à un faon, et les trois fées ont des pouvoirs qui les associent à la nature. Alors que la violence semble quant à elle l’apanage des hommes, qui tout le long du film l’utilisent pour des raisons mal justifiées par le scénario : le vieux roi attaque la Land uniquement « parce qu’il l’a promise à son peuple ».

Bientôt des hommes et des femmes traités indépendamment de leur sexe ?

On voit donc qu’il ne faut« pas entrer ànotre tour dans la mythologie qui fait de Disney un projet culturel intemporel qui se déploie depuis l’origine »(Fassin, 1993, 85). Il y a bien une évolution qui est mi-figue mi-raisin.

Finalement, on voit que l’amour reste le centre de l’intrigue de la version de 2014 alors que dans la version de 1959 « l’amour n’avait pas d’histoire ; il ne connaissait que des histoires, c’est-à-dire des obstacles »(Fassin, 1993, 86). En 2014 « l’amour est devenu, dans le monde magique de Disney, tout aussi problématique que dans la sociétéaméricaine »(Fassin, 1993, 86). Au point que Disney se pose des questions quant aux formes d’amour autre qu’hétérosexuelles. Si l’on voulait pousser l’interprétation du baiser du prince qui ne fonctionne pas –car n’étant pas issu d’un amour sincère comme l’intrigue le dit clairement –on pourrait dire que l’amour hétéronorméne peut pas être sincère car il est pris dans des normes inégalitaires entre les hommes et les femmes. Contrairement à1959, le prince et la princesse Aurore ne peuvent pas s’aimer de manière authentique en 2014 car leur relation est parasitée par des normes injustes car inégalitaires. Mais cela n’est pas l’objet du film ni de ce petit papier qui n’a pas suffisamment d’éléments pour le justifier. Peut-être que les prochains films de Disney nous permettront d’aller plus loin dans ce sens.

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