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GLEEDEN, l’État doit-il règlementer notre chambre à coucher ?

Avatar de Tristan Boursier

Le site de rencontres extraconjugales Gleeden a récemment provoqué un raz-de-marée médiatique. La raison ? Ses affiches publicitaires prônant l’adultère ont été interdites dans plusieurs villes de France suite à des protestations, en particulier par les Associations familiales catholiques (AFC). Une action en justice a même été engagée par celles-ci, contre la société Blackdivine, pour incitation au non respect du Code civil français. Le concept du site choque ou ravit, rares sont ceux qui n’ont pas une opinion tranchée à émettre sur le sujet, notamment sur la place légitime ou non de l’Etat dans la relation matrimoniale. Au sujet de l’infidélité est-il réellement judicieux de lier moralité et légalité en France? Laissons la parole à quelques étudiantes de l’Université de Genève

Déculpabiliser le désir d’adultère, pousser l’adhérent à franchir le pas

« Le site préféré des femmes mariées », ou encore « Il n’a jamais été facile d’aborder un homme marié », peut-on lire sur la première page de Gleeden, site web pour femmes et hommes mariés ou simplement en couple, souhaitant vivre l’expérience de l’infidélité avec un autre de ses membres. Ces phrases d’accroche sont illustrées de photographies de femmes et d’hommes attirants, souriants, l’air épanoui. Une pomme rouge entamée, fortement connotée, en est le logo. Clin d’œil flagrant pour inciter l’internaute à céder à la tentation. Le nom n’a pas été choisi au hasard : Glee a pour signification bien-être, euphorie et Eden est une référence directe au Jardin d’Eden de l’Ancien Testament. Déculpabiliser le désir d’adultère, pousser l’adhérent à franchir le pas : tel semblerait être le but. Apparemment atteint avec réussite puisque le site revendique aujourd’hui 2,4 millions de membres en Europe, dont un million en France. Mais le concept ne fait pas que des adeptes, loin de là.
Récemment des protestations ont pris une ampleur telle que la société Blackdivine, responsable du site, est désormais assignée en justice par les Associations familiales catholiques (AFC).
De cette action judiciaire découle une interrogation. Comment une poursuite en justice pourrait-elle aboutir étant donné que l’obligation de fidélité ne figure plus dans le Code pénal français depuis 1975 ? Caroline Mecary, avocate responsable de la défense, riposte que « l’association n’a pas à dire aux gens comment ils doivent se comporter » et qu’elle consiste en « une intrusion dans la vie privée ».
Mais alors qu’est-ce que les AFC pointent du doigt? L’obligation de fidélité explicitement stipulée dans l’art. 212 du Code civil français. Dans celui-ci, il est inscrit que les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance. Même si l’adultère ne consiste plus en une faute pénale, «ce qui est dépénalisé n’est pas légal pour autant », affirme l’avocat des AFC et blogueur Erwan Le Morhedec lors d’une apparition télévisée sur France 5.

Il s’agit d’un choix de société, est-ce qu’on cherche ensemble le meilleur pour tous ou est-ce qu’on se contente de cohabiter sans se soucier du bonheur du voisin ?

Pourtant on touche là au cœur même de l’intimité des époux. En quoi l’Etat aurait-il un rôle à jouer dans le lit conjugal ? N’est-ce pas entraver la liberté humaine ? Jeanne*, étudiante en Droit, répond : « Au niveau juridique, un mariage est une communauté de toit, table et lit. L’adultère n’est plus interdit en soi mais la loi promeut autre chose à travers l’importance qu’elle donne à la famille en soi. La famille pour lier la société doit être protégé et promue. Il ne faut pas toucher à ce socle considéré comme fortifiant la société. » Si nous suivons son point de vue, ce que l’Etat veut faire par le biais de cette loi c’est de renforcer notre société, de lui donner un équilibre en vue d’une harmonie au sein de la communauté.
Mais doit-il alors « faire la police » au sein des couples ? Réprimander juridiquement celui qui, à travers l’adultère, entrainerait possiblement cette fragilisation de la cellule familiale ? Tandis que Julie*, étudiante en Géographie, s’indigne que celui-ci vienne empiéter sur sa vie privée et donc sur sa liberté, Agnès*, étudiante en Droit, a un autre avis sur la question : « Dans la mesure où l’Etat est garant du bien commun, il doit protéger la dignité humaine. Le bien commun repose sur la loi et la morale. L’Etat, dans une conception politique humaniste fondée sur le respect de la personne humaine, légifère et protège les droits de ces personnes. Donc il ne s’agit pas simplement de rechercher à satisfaire ou permettre la satisfaction de quelques libertés individuelles mais bien de donner une impulsion à une société toute entière. »

Faire rimer légalité et moralité aurait donc un sens. « Il s’agit d’un choix de société, est-ce qu’on cherche ensemble le meilleur pour tous ou est-ce qu’on se contente de cohabiter sans se soucier du bonheur du voisin ? », ajoute Agnès. L’Etat voudrait donc préserver la société et cette protection passe d’après lui par celle de la famille où il est préférable qu’unité et stabilité règnent en maître. Cette stabilité est-elle engendrée par la monogamie ? Il s’agirait de quelque chose de défendable, étant donné que l’infidélité fragiliserait ce noyau familial en créant probablement un déséquilibre affectif et économique entre l’époux-se légal-e et l’ amant-e.

Si on met de côté l’aspect moral et qu’on s’intéresse seulement au pourquoi de cet acte, il pourrait y avoir le fait de combler un vide, de se sentir aimé, de contrer la routine de la vie quotidienne, de s’émanciper du rôle d’épouse et de mère pendant une aventure au profit d’un jeu de séduction et de mystère…

Laissons la juridiction de côté et concentrons-nous sur les panneaux publicitaires de Gleeden qui font grand bruit. On remarque que l’humour est souvent au rendez-vous. Bel exemple du genre : « Avoir un amant coûte moins cher à la sécu que des antidépresseurs », peut-on lire sur l’un de ceux-ci. Le site semblerait avancer donc qu’une aventure adultère éviterait qu’une possible frustration de l’épouse mène à la dépression. Une promesse indirecte de bonheur et d’épanouissement. Myriam*, étudiante en Sociologie, tente de répondre à cette question. « Si on met de côté l’aspect moral et qu’on s’intéresse seulement au pourquoi de cet acte, il pourrait y avoir le fait de combler un vide, de se sentir aimé, de contrer la routine de la vie quotidienne, de s’émanciper du rôle d’épouse et de mère pendant une aventure au profit d’un jeu de séduction et de mystère… »
Mais une chose est cependant indéniable, s’inscrire sur ce site comporte un risque. En effet, une telle trahison amènerait dans certains cas au divorce car la tromperie n’est pas pleinement assumée et choisie par les deux époux. Cet aléa est plus ou moins mis en évidence indirectement par le site internet qui promet « une discrétion totale ». Quand on demande aux étudiantes si l’adultère pourrait remettre en cause leur futur mariage, beaucoup d’entre elles répondent par l’affirmative. Dire que adultère et divorce soient liés n’est pas abusif pour la plupart de ces futurs diplômés. Quant à Gleeden, qui promettait de rendre service à la sécu, celle-ci n’a-t-elle pas finalement tout à y perdre avec ce risque de divorces sous-jacent amenant des coûts sociaux ? Jeanne* poursuit : « Humainement, le divorce peut briser des époux, des familles et, économiquement parlant, il est d’ailleurs l’une des raisons principales de précarité à Genève. »

Pourquoi préciser que ce sont à partir des  femmes qu’ils ont conçu ce site ?

Un autre détail de l’affiche attire le regard. « Le premier site de rencontres extra-conjugales pensé par des femmes », peut-on lire. Pourquoi le revendiquer ? Pourquoi préciser que ce sont à partir des  femmes qu’ils ont conçu ce site ? N’est-ce pas pour attirer la gent féminine, parfois sensibilisée par cette construction sociale que l’adultère est une pratique presque exclusivement masculine ? Doit-on voir par là qu’ils essayent de faire une piqûre de rappel sur l’oppression dont les femmes ont pu être l’objet ?
Surfer sur cette frustration d’inégalité dans certaines circonstances serait assimilable à encourager les femmes à franchir le pas, comme si s’inscrire sur ce site pouvait être semblable à un acte de soutien féministe. Quoi qu’il en soit, les élèves interrogées de l’université ne semblent, pour la plupart, pas être en faveur de ce site. Les valeurs du mariage sous-entendant fidélité conjugale semblent encore être bien ancrées dans leurs esprits.

De toute façon, si les gens veulent être infidèles, ils trouveront d’autres moyens de l’être, sans passer par ce site

Elizabeth* étudiante en Sociologie conclut : « De toute façon, si les gens veulent être infidèles, ils trouveront d’autres moyens de l’être, sans passer par ce site. » Mais doit-on pour autant le considérer comme étant sans danger ? N’est-ce pas une incitation de plus à le faire ? Une banalisation de l’infidélité ?
L’ État a-t-il réellement un droit de regard sur la liberté des individus, telle est la question principale. Il reste pour la plupart des gens très difficile de trancher lorsque la vie intime des personnes est engagée dans le débat mais la décomposition de l’institution familiale en fait frémir plus d’un. Une chose est sûre le site Gleeden n’a pas fini de flirter avec la provocation, il a tenu un stand au dernier Salon du mariage, distribuant des pommes d’amour à tous les curieux.

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Une réponse à “GLEEDEN, l’État doit-il règlementer notre chambre à coucher ?”

  1. Avatar de Nathan Krieg
    Nathan Krieg

    Super article !

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