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Gerontophilia : un pas en avant, deux en arrière

Avatar de Tristan Boursier

Peut-on coucher avec un homme de 80 ans lorsqu’on est un jeune homme de 20 ans ? Gerontophilia se veut une réponse filmique à cette question hautement politique car elle implique des notions de pouvoir et de perception sociale. La manière dont un État traite des citoyens âgés peut donner de nombreuses pistes de réflexion quant au niveau de progressisme et de libéralisme de cet État. Lorsqu’on voit la bande annonce de Gerontophilia, en tant que topoïste, on peut se réjouir car cette thématique est très peu traitée au cinéma avec style. Si le film se présente comme progressiste et comme un ovni cinématographique underground, le résultat est aussi décevant que nos attentes pouvaient être grandes. En effet, parler des différences d’âge dans les rapports amoureux, de l’homosexualité, de la manière dont notre société traite ceux qu’elle juge trop vieux, inclure tout cela dans un seul film peut susciter des attentes élevées. Ces attentes ne seront pas satisfaites par Gerontophilia pour au moins deux raisons.

 

Un style qui vise Xavier Dolan mais qui atteint à peine le niveau du porno

Gerontophilia est dans la vague des films d’auteurs canadiens à la Xavier Dolan : visage décalé sur les plans de dialogue, ralentis stylisés, colorimétrie soigneuse et l’élément important pour avoir un prix au Canada : un bilinguisme bien présent. Ce dernier point est à l’image de tous les autres : le film donne l’impression de les faire entrer en force pour se donner un air sans réussir. Les personnages parlent la majeure partie du temps en anglais mais parfois, on ne sait trop pourquoi ils commencent à parler en français. Cela peut même prêter à confusion : des personnages parlent français à d’autres qui ne disent pas un mot de français durant tout le film. Comme si au Canada tout le monde était parfaitement bilingue (si seulement les anglophones pouvaient déjà apprendre dix mots en français, ça serait pas mal). Mais bon, vu que les prix récompensent l’esprit d’union fédérale, il faut bien se prostituer un peu pour vivre.

Sur les effets de style (ralentis, flous, dialogues serrés) on remarque la même chose que pour le bilinguisme : une incohérence générale. Si des petites touches imitent les films d’auteurs, en dehors d’elles la réalisation est à la hauteur d’une série B : dialogues fades, plans classiques et sans âmes, absence de psychologie des personnages. Sur ce dernier point, Lake le personnage principal, manque cruellement de profondeur. Si LaBruce essaie au milieu du film de se rattraper en nous offrant un plan psyché trash, l’effet tombe à la manière d’un soufflé car le réalisateur ne semble pas assumer son style et retombe vite dans des codes plus classiques.

LaBruce ne semble pas avoir une vraie approche filmique. Il ne suffit pas d’ouvrir son film sur des jouissements, de filmer de la masturbation avec des inconnus et d’ajouter de la drogue pour avoir une approche intéressante.

 

Un sujet traité sans tact : la love story du dimanche, le discours naturaliste en plus

L’idée de départ était pourtant bonne : traiter d’une forme de sexualité peu connue et en profiter pour remettre en cause les canons de beautés valorisés en Occident. Mais son traitement plat fait de Gerontophilia un film comme un autre. Pourquoi avoir fait une imitation de la scène du dessin dans Titanic version gériatrique ? Pourquoi avoir fait l’énième coup des amants jaloux ?

Pire que ce traitement grotesque sans pathos, le discours naturaliste en bande de fond rend le tout indigeste. Au lieu d’être sensible, compréhensif ou même critique aux comportements du jeune homme qui aime coucher avec des vieux, le film essaie de le valoriser avec le même vocable que les conservateurs américains. Lake est vu comme exceptionnel « car il va contre nature ». Comme si la nature donnait des directives pour les canons de beauté. En quoi aimer quelqu’un qui a un physique non valorisé par nos codes sociaux est quelque chose de contre nature ? Est-ce que fantasmer sur Kim Kardashian est plus naturel ? Le discours naturaliste va dans la surenchère lorsque la copine de Lake le qualifie à plusieurs reprises de « saint » parce qu’il aime les vieux. Qu’est-ce que cela sous-entend ? Qu’il fait de la charité ? Aimer une personne au physique socialement disgracieux est-il un acte de gentillesse mais ne peut-il pas être issu d’un amour sincère ?

Si les moments tendres sont présents, ils sont rares. Une des seules scènes touchantes du film se passe dans l’hôpital où Lake joue au streap poker avec son futur amant de 80 ans, tout en buvant allègrement comme s’ils avaient 17 ans. Néanmoins, cette scène fait exception car dans la plupart des cas, des éléments clichés viennent briser le flux narratif.  Pourquoi fallait-il que Lake sorte une capote pleine au milieu du lit le lendemain de sa première nuit avec son amant ? Si l’on peut coucher avec un homme de 80 ans lorsqu’on est un jeune homme de 20 ans, je pense en revanche, que l’on ne devrait pas en faire un film aussi mauvais.

 

Pour aller plus loin :

Bruce LaBruce né en en Ontario (1964) est un écrivain et photographe canadien surtout connu pour ses oeuvres en tant que réalisateur. Il est notamment le réalisateur de L.A. Zombie  (2010) avec François Sagat et de The Raspberry Reich (2004). Les sexualité alternatives (non hétérosexuels) est une des thématiques récurrente de ses films. Dans L.A. Zombie et Otto; or Up with Dead People il met en scène des zombies dans le milieu pornographique.

Bande Annonce de Gérontophilia : http://www.premiere.fr/Bandes-annonces/Video/Gerontophilia-VOST

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