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Une juriste répond à nos questions sur l’initiative contre la pédophilie

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 Y a-t-il une définition légale précise du pédophile et de l’enfant ?

A. Sergueeva : Concernant la dénomination de pédophile, il n’existe pas de définition légale. Le code pénal réprime un acte sexuel avec un enfant de moins de 16 ans.

Concernant l’enfant, tout individu mineur est considéré comme tel.

Quelle est la situation actuelle quant aux actes qualifiés de pédophiles ?

A. Sergueeva : Actuellement, on se base sur l’article 187 du code pénal qui réprime les actes d’ordre sexuel avec des enfants de moins de 16 ans. La personne est punie pour cela. S’il s’agit d’un très jeune enfant, on passe alors sur un acte d’ordre sexuel avec des personnes incapables de discernement (art. 191 CP) qui se juge au cas par cas. Dans la jurisprudence il n’y a pas d’âge fixe, il y a une marge d’appréciation. Le Tribunal fédéral a cependant estimé qu’un enfant âgé de 4 ans et 11 mois est incapable de discernement.

Actuellement, si l’on prend l’exemple d’une jeune fille de 14 ans, n’importe quel individu ayant un rapport sexuel avec elle serait techniquement poursuivable, à condition que les parents portent plainte ou que les autorités pénales l’apprennent d’une autre manière (p. ex. dénonciation d’un enseignant à l’école). Une exception est prévue si la différence d’âge est de 3 ans (art. 187 ch. 2 CP). Il peut aussi  arriver qu’une fille de 15 ans ait un copain de 20 ans sans que cela porte à conséquence, notamment si les jeunes forment un couple.

L’initiative pourrait viser ce type de relation malgré le fait que les initiants le réfutent. En effet, le texte de loi ne comporte pas d’exclusion claire de ce type de cas, ou un alinéa sur les cas bagatelle. C’est une situation inconfortable car un juge pourrait directement l’appliquer.

Quelle protection apportera la loi votée par le parlement le 13 décembre 2013 qui entrera en vigueur le 1er janvier 2015 ?

A. Sergueeva : La loi s’attachera aux activités professionnelles et bénévoles. Par exemple, si un banquier qui est aussi coach sportif dans une équipe de foot de manière bénévole est reconnu coupable, il ne pourra plus entraîner des enfants sur une durée de 5 à 10 ans et ce terme est renouvelable.

La loi apporte un meilleur suivi sur certains points. En effet, l’initiative n’interdit pas à une personne condamnée d’approcher des enfants ou des personnes dépendantes ou de fréquenter certains lieux, alors que la loi interdit de travailler mais aussi d’approcher la victime. Il est bon de rappeler que la majorité des actes concernent la famille, on est plutôt loin du gros pervers qui va toucher les petits enfants à la sortie des classes.

Encore une fois, l’initiative est floue. Marche blanche fait voter des textes sur lesquels la population sera d’accord mais leurs lois sont complètement inapplicables. La dernière loi sur l’imprescriptibilité sur les actes avec enfants pré-pubère est là pour le rappeler : il n’y a pas de définition claire de ce que l’on considère comme « pré-pubère ». Ici encore, nous avons à faire à des termes non définis.

L’initiative serait-elle complémentaire ? Apporterait-elle une plus grande protection ?

A. Sergueeva : En réalité, elle est beaucoup moins complète. La pédophilie sera réprimée de la même manière qu’avant puisque se sont les mesures d’accompagnement qui entrent en vigueur avec la loi votée par le parlement. De plus, l’interdiction à vie que préconise l’initiative peut être édictée par le juge dans des cas graves et cela grâce à la loi du parlement.

En quoi l’initiative ne respecte-t-elle pas le principe de proportionnalité ? 

A. Sergueeva : Pour rappel, le principe de proportionnalité est une pesée des intérêts entre ceux de l’auteur et ceux de la collectivité : il ne s’agit pas de tirer sur des moineaux avec des canons.

Dans notre cas, on peut parler de violation du principe de proportionnalité car l’initiative ne différencie pas les cas d’abus sexuels. L’acte pédophile n’est pas défini dans le code. En effet, au vu de l’initiative, il n’y a pas de différence entre un homme comme Marc Dutrouc,  un oncle qui viole sa nièce, un jeune homme avec sa copine de moins de 16 ans ou encore un crime sans victime (images, bande dessinées à caractère pédophile).

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