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L’émotion aux urnes ou l’initiative contre les pédophiles

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Préambule

Le deuxième objet sur lequel les Suissesses et les Suisses sont appelés à voter le 18 mai est un sujet on ne peut plus brûlant. En effet, il s’agit d’une question morale relativement émotionnelle sur laquelle trop peu jugent de peser les arguments avant de se rendre aux urnes dimanche prochain.

Que propose réellement l’initiative ? Quelle protection offre-t-elle quant à la récidive des pédophiles? N’y a-t-il pas déjà des mesures à ce sujet? Ces questions seront abordées dans cet article afin d’essayer de déconstruire ce qui se cache derrière des slogans réducteurs. Il sera intéressant aussi de connaître ceux qui s’opposent et préconisent un « non » à l’initiative ; qui sont-ils ? Quels sont leurs arguments ?  Un sujet si sensible mérite d’être traité sous tous ses angles ; pour compléter l’aspect juridique, ce dossier comprendra un entretien avec Anna Sergueeva, avocate et assistante doctorante au département de droit pénal de l’Université de Genève, qui nous éclairera sur les questions juridiques.

Ainsi, nous vous proposons dans cet article de comprendre la votation puis de confronter les arguments des initiateurs à ceux des opposants. De nombreux arguments, exemples et notamment le tableau de comparaison, sont directement tirés de l’émission d’Infrarouge[1] diffusée le 15 avril. Si vous souhaitez approfondir le sujet, nous vous recommandons vivement son visionnage.

http://www.infrarouge.ch/ir/2083-votation-ndash-seconde-chance-pour-pedophiles

La situation actuelle

Le parlement a voté une loi le 13 décembre 2013 [2] qui entrera en vigueur dans le code pénal au début de l’année 2015. Le comité d’initiative juge cette loi insuffisante et voudrait apporter les mesures nécessaires par le texte qu’elle soumet à votation.

Des mesures incisives

L’initiative populaire, intitulée « Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants » peut être vue sous deux angles. D’abord, il est important d’observer son appellation : courte, concise, deux mots forts qui s’opposent – pédophile et enfant – et aucun doute quant à la réponse qu’on donnerait instinctivement. Cependant, chaque votation est objet de débat politique et une opposition existe ; il est toutefois difficile pour les partisans du « non » d’exprimer leurs arguments face à un tel intitulé.

La volonté du comité d’initiative Marche Blanche est claire : éliminer toute récidive suite à une condamnation pour pédophilie. Pas de possibilité pour le juge de peser la dangerosité de l’individu : celui-ci aura l’interdiction à vie de travailler avec des enfants, dans un cadre professionnel ou bénévole. Les opposants à cette initiative, parmi eux le Conseil fédéral [3] – qui ne donne cependant pas de recommandation de vote – et Monsieur Carlo Sommaruga qui parle d’initiative « slogan » [4], critiquent ces mesures tranchées qui ôteraient tout pouvoir d’appréciation au juge. Il vaut toutefois la peine de remarquer que les initiants ainsi que leurs adversaires s’accordent sur une tolérance zéro face à la pédophilie et à sa récidive. Les premiers soumettent leur initiative le 18 mai prochain, les deuxièmes mettent en avant la loi qui entrera en vigueur en 2015 : une même direction quant à la protection de l’enfant mais deux chemins juridiques bien différents pour y parvenir.

Marche Blanche : mieux vaut prévenir que guérir

Marche Blanche est le comité d’initiative. Le comité propose par son initiative d’empêcher à toute personne condamnée pour des actes pédophiles de travailler avec des enfants, dans un cadre professionnel ou bénévole.

Les arguments principaux (tirés de leur site internet [5]) sont les suivants:

  1. « Les pédophiles sont fréquemment des récidivistes

  2. La pédophilie n’est pas guérissable

  3. Nous devons protéger les enfants contre les délinquants récidivistes

  4. Les arguments des adversaires sont infondés

  5. La base légale actuelle est insuffisante »

Dès lors, Marche Blanche propose de prendre les devants : un individu ayant porté atteinte à l’intégrité sexuelle d’un enfant ou d’une personne dépendante, doit être interdit à vie de contact professionnel ou bénévole avec des enfants. La Constitution doit l’imposer au juge, pour les promoteurs de l’initiative c’est le seul moyen légal d’empêcher la récidive.

En effet, Marche Blanche considère que son initiative n’est pas abusive car le marché du travail et vaste : une personne condamnée pour pédophilie aurait de nombreuses possibilité de réinsertion professionnelle et il ne serait pas nécessaire pour elle de se réorienter vers un métier en contact avec des enfants.

Les opposants : une votation superflue

Considérée comme un contre-projet indirect, la motion votée en décembre 2013 entrera en vigueur le 1er janvier 2015. Celle-ci est, pour les opposants à l’initiative, plus complète, claire et concrète que la loi proposée par Marche Blanche. Les opposants mettent en avant le travail du Parlement en disant que la modification pénale répondra aux besoins actuels, l’initiative serait donc redondante voire inutile au vu de la protection offerte par la loi. Cette nouvelle loi permettra de condamner non pas seulement les abus sexuels perpétrés dans un milieu professionnel (professeur-enfant) mais aussi dans le milieu sportif (entraîneur-enfant) ainsi que familial, qui reste le champ le plus fréquent. Pour l’aspect juridique concernant la proportionnalité, nous vous invitons à consulter l’interview de Mme Anna Sergueeva.

Voici un tableau récapitulatif, tiré de l’émission Infrarouge, comme annoncé dans le préambule.

Tous des pédophiles ?

Y a-t-il des « degrés » d’actes pédophiles ? Selon le texte d’initiative, un individu qui consomme de la pédopornographie sera jugé de la même manière qu’un individu condamné pour attouchement sur un enfant. Peut-on mettre tous les actes dans le même panier ? Peut-on seulement imaginer redonner une chance à la personne condamnée pour des actes pédophiles ? L’interprétation personnelle est ici primordiale, qu’elle se fonde sur des convictions morales ou des arguments juridiques. Résultats le 18 mai !

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