Je porte plainte contre… l’austérité

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Après que la crise financière de 2008 a heurté de plein fouet les économies européennes, nombreux furent les Etats à opter pour une politique économique basée sur la réduction des déficits budgétaires, espérant ainsi relancer la confiance des marchés, dynamiser la création d’emplois et réduire leurs dettes. Toutefois, ces mesures ont rencontré l’animosité des individus car elles renforcent toujours plus les inégalités sociales, tout en ne réussissant pas à relancer efficacement l’économie. Le FMI, principal promoteur de l’austérité, admet désormais la faillibilité et les faiblesses de ce modèle de relance. Dès lors, une question reste en suspend : lors de la mise en place des mesures, a-t-on négligé les conséquences dévastatrices à long terme ?

    Dans les pays du sud de l’Europe, en particulier l’Espagne et le Portugal, une des mesures phares des politiques d’assainissement est la réduction des salaires de la fonction publique, sous prétexte que la masse salariale publique est démesurément élevée. Soudainement, des milliers de fonctionnaires ont vu leurs pouvoirs d’achat dégringoler, ce qui amène, bon gré mal gré, à restructurer le mode de consommation et repenser les dépenses. Les ménages continuent à acheter les biens de première nécessité, mais ils privilégient désormais des produits de qualité moindre, plus accessibles. Par ce biais, l’épargne et les investissements sont également compliqués, dans la mesure où les familles ont beaucoup moins de fonds à disposition, elles ne peuvent pas s’adonner à ce genre de « luxes ».

    C’est précisément là que l’essence court-termiste de l’austérité surgit : que vont devenir ces salaires ? Vont-ils continuer à diminuer alors que l’augmentation des prix se globalise ? Sont-ils définitivement réduits ? Ont-ils été réduits uniquement de manière temporaire, pour ensuite être augmentés de manière plus conséquente ? S’agit-il d’une manœuvre politique destinée à favoriser une élite ou à dynamiser l’économie ? Beaucoup d’interrogations, peu de réponses. Les gouvernements sont élusifs, évoquant constamment la durée limitée des mesures, sans pour autant réussir à circonscrire cette dernière. Ces incertitudes plongent ces personnes dans une oscillation entre l’espoir d’un retour aux normes d’avant l’austérité et la résignation, symbolisée par un défaitisme grandissant et généralisé.

Toujours dans le Sud, dans l’optique de réduction des dépenses, de nombreux services publiques n’ont pas résisté à la déferlante de l’austérité. Plusieurs écoles, hôpitaux, maternités, centres administratifs régionaux, postes de polices, transports publiques ont été tout simplement supprimés car ils seraient trop coûteux. Hormis l’explosion du chômage que cela provoque, d’autres problèmes sont saillants : si l’on prend l’exemple des écoles publiques, de nombreux villages se retrouvent esseulés et dépourvus de centres d’éducation, ce qui conduit les habitants à parcourir de longues distances. Ici, apparaît encore une interrogation qui dévoile tout le cynisme des promoteurs de l’austérité : comment peut-on payer le transport, la cantine pour les enfants alors que les salaires diminuent et que l’Etat ne prend plus en charge ces frais ? « Serrez la ceinture », diront-ils. Est-ce que les écoles vont rouvrir ? N’y a-t-il pas là un grave manquement à l’un des droits fondamentaux, celui de l’éducation ? Est-ce que les habitants risquent de quitter ces régions mal loties, conduisant à la désertification de vastes régions ? On voit donc que l’austérité provoque des risques de déstructurations d’espaces urbains, avec l’émergence de villes fantômes. Alors que l’Europe avait exprimé sa volonté d’éradiquer l’analphabétisme, force est de constater que ces politiques vont à l’encontre du progrès et poussent vers une tendance à la dégradation du niveau des écoliers.

L’exemple des hôpitaux n’est pas plus encourageant. Dans le cas du Portugal, l’Etat a instauré une taxe directe sur chaque consultation médicale. De plus, comme il y a fermeture, il apparaît évident que les trajets pour se faire soigner sont beaucoup plus longs et sont par conséquent plus coûteux. Dès lors, suivant la gravité présumée de la maladie, les habitants réfléchissent à deux fois avant de se rendre à l’hôpital. Cette situation met les individus face à des dilemmes : «  dois-je aller à l’hôpital sous peine de devoir parcourir jusqu’à 100 km et payer le transport (alors que les taxes augmentent, mais les salaires sont à la baisse) ou dois-je relativiser la gravité de ma maladie pour économiser quelques euros ? ». A titre d’exemple, le quotidien portugais Público a révélé le 21 mars 2014[1]

que plusieurs malades, par manque d’argent, préfèrent l’hémodialyse plutôt que subir une transplantation de rein, pratiquée dans les grands hôpitaux. Cette opération implique beaucoup de consultations à posteriori, ce qui est très coûteux en termes de transport.

Ici, le constat est le même que pour les écoles : est-ce que ces fermetures ne seront que passagères ? Verra-t-on une polarisation en des lieux fournissant ces services de santé ? Est-ce que les personnes dépossédées de ces services de base pourront à nouveau en bénéficier ? Avec ces mesures d’austérité, le constat a l’effet d’un couperet : il y a détérioration des services de santé (il y en a moins pour le même nombre d’habitants, donc il y a surcharge) et surtout détérioration de la santé des individus !

    Une chose est sûre, l’austérité a balisé le chemin que ces pays du sud vont devoir emprunter sur de longues décennies et a modelé les rapports sociaux, en mettant sur la table une nouvelle donne. Elle a agrandi le trou ainsi que la méfiance qu’il y a entre les peuples et la classe politique. Elle a agrandi les inégalités entre hommes et femmes et a modifié le regard porté aux personnes vulnérables. Ces dernières se sentent catégorisées, comme si elles étaient responsables de leur situation critique et comme si l’exigence de services de santé et d’éducation était un luxe dans cette période difficile. Les espoirs et la visibilité sont masqués par la désolation causée par cette austérité court-termiste. C’est pourquoi il semble important que dans notre ilot suisse, de plus en plus apparenté au Réduit National, nous sachions pourquoi certains ressortissants se pressent à nos frontières afin de comprendre la détresse des victimes du plus grand fléau européen de ce début de XXIème siècle

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